À l’occasion de la commémoration du 75ème anniversaire de la victoire sur le nazisme et du 70ème anniversaire de la déclaration Schuman, la Conférence des provinciaux européens de la Compagnie de Jésus a appelé, vendredi 8 mai, les institutions européennes à une « véritable solidarité éthique et sociale » en ces temps de pandémie.

Jésuites européens Cette année, la grande annonce de Pâques a retenti dans des églises vides. La célébration de l’inséparable unité de Dieu avec l’humanité, réalisée une fois pour toutes en Jésus-Christ, a été transmise à un peuple mis dans l’impossibilité de se rassembler en tant que corps, et encore moins de profiter de la chaleur humaine d’une étreinte, tout cela parce qu’un virus avait rendu la proximité physique potentiellement mortelle. Néanmoins, la puissance de la présence de Dieu à nos côtés nous encourage à maintenir un esprit de solidarité entre tous les êtres humains. En effet, en tant que chrétiens, nous nous y tenons comme à notre conviction la plus profonde.

L’expérience déstabilisante de la pandémie du coronavirus a renforcé la conscience de tous les peuples d’Europe quant à leur interdépendance. Nous ne sommes pas des individus isolés. Nous sommes si étroitement liés les uns aux autres à tous les niveaux que, sans même le savoir, nous avons le pouvoir de nous faire les uns aux autres à la fois un bien immense et un mal immense.

Dans cette prise de conscience de notre inévitable interdépendance, l’Église perçoit qu’un don précieux émerge : la « solidarité« . Tant pour les individus que pour les instances politiques seule la prise de conscience permet le changement, ce que nous appelons la « conversion ». Celle-ci porte ses fruits dans des relations marquées par une véritable solidarité éthique et sociale.

Pour les individus, cette prise de conscience doit s’accompagner d’une ferme volonté de consacrer leur vie et leur énergie au service du bien commun. Aider les personnes à grandir dans la vertu morale de solidarité fait partie de la vocation de l’Église. Dans nombre de nos pays, cette volonté s’est manifestée clairement au cours de cette crise par l’engagement inlassable et courageux des travailleurs de la santé, des employés de la fonction publique et des dirigeants politiques.

Pour les instances politiques, la conversion consiste à transformer, au moyen des législations, des réglementations et des systèmes juridiques, les structures du péché, qui détériorent les relations entre les individus et les peuples, en structures de solidarité. L’Europe est le fruit de cette conversion institutionnelle et incarne en elle-même la solidarité. Comme l’a dit le pape François le dimanche de Pâques, le projet de solidarité d’après-guerre a permis à l’Europe de se relever et de surmonter les conflits du passé. Il est impératif, a-t-il ajouté, « que ces rivalités ne reprennent pas de force, mais que tous se reconnaissent comme faisant partie d’une seule famille et se soutiennent mutuellement« .

Au cours de ces semaines :

  • Nous avons appris que nous ne pouvons pas vivre sainement sur une planète malade. Nous appelons à repenser le modèle actuel de mondialisation afin qu’il incarne une solidarité efficace avec les pauvres, l’environnement et les générations futures. L’enseignement du pape François offre une vision intégrale d’une solidarité à multiples facettes dont nous avons besoin. Les conséquences de la pandémie ne doivent pas entraîner une dilution de l’engagement de l’Europe dans cette direction, mais une intensification de ses efforts.
  • Nous avons constaté à quel point la solidarité paneuropéenne est difficile à mettre en pratique, surtout de nos jours. Au début de la crise, il y eu un manque de solidarité avec l’Italie et l’Espagne ; le réflexe initial a été celui du « chacun pour soi ». Mais nous savons que nous sommes tous dans la même situation : nous coulerons ou nous nagerons ensemble. Heureusement, l’Union a retrouvé le chemin de la solidarité concrète – pour l’instant. À moyen terme, le défi consistera à faire face aux retombées économiques et sociales de la pandémie. Inévitablement, cela entraînera une certaine redistribution des richesses des pays riches vers les pays pauvres. Nous appelons, 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale et 70 ans après la déclaration Schuman, à faire en sorte que l’UE surmonte la menace existentielle que représente le manque actuel de désir pour la solidarité internationale.
  • Nous avons été et nous restons préoccupés par la progression du virus dans les pays du Sud et par les ravages qu’il pourrait encore causer dans les pays qui manquent de moyens pour se protéger. La solidarité européenne préfigure la solidarité mondiale. Nous demandons dès à présent l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, davantage d’aide humanitaire et de coopération au développement, avec une réorientation des dépenses militaires vers les services de santé et les services sociaux.
  • Nous avons constaté le dénuement des réfugiés et des demandeurs d’asile, y compris ceux qui sont confinés dans des camps sur notre continent. La solidarité européenne doit aussi s’étendre d’urgence à eux. Comme l’a dit récemment le cardinal Michael Czerny, « ils sont arrivés en Europe physiquement mais pas humainement ». L’Europe ne doit pas les laisser tomber.

Selon le pape François, « l’Union européenne est actuellement confrontée à un défi historique, dont dépendra non seulement son avenir mais aussi celui du monde entier ». Cette crise représente une opportunité spirituelle de conversion. Nous ne pouvons pas, ni en tant qu’individus ni en tant que politiques, espérer revenir à la « vieille normalité ». Nous devons saisir l’occasion pour travailler à un changement radical inspiré par nos convictions les plus profondes. Nous, soussignés, Supérieurs Majeurs de la Compagnie de Jésus en Europe et au Proche-Orient, souhaitons, à vous qui œuvrez dans les institutions européennes, la force nécessaire pour faire face aux défis liés à cette pandémie. Que Dieu vous accorde de réussir la construction d’une Europe nouvelle, chaleureuse et solidaire.

Conférence Jésuite des Provinciaux Européens
Bruxelles, le 8 mai 2020

 

Signataires

Franck Janin, SJ (President de la Conférence Jésuite des Provinciaux Européens), François Boëdec, SJ (France, Grèce, Luxembourg, Belgique sud), Ivan Bresciani, SJ (Slovénie), Bernhard Bürgler, SJ (Autriche), Antonio España Sánchez, SJ (Espagne), José Frazão Correia, SJ (Portugal), Jakub Kolacz, SJ (Pologne du sud, Ukraine), Gianfranco Matarazzo, SJ (Albanie, Italie, Malte, Roumanie), Leonard Moloney, SJ (Republique d’Irlande, Irlande du Nord), Damian Howard, SJ (Grande Bretagne), Tomasz Ortmann, SJ (Pologne du nord, Danemark), Petr Přádka,SJ (Republique Tchèque), Dalibor Renić,SJ (Croatie, Bosnie-Herzegovine, Kosovo, Serbie, Montenegro), Jan Roser,SJ (Allemagne, Suède), Christian Rutishauser, SJ (Suisse), Fr. Vidmantas Þimkunas, SJ (Lituanie, Létonie), Boguslaw Steczek, SJ (Russie, Bielorrussie), Jan Stuyt, SJ (Pays-Bas, Belgique Nord), Rudolf Uher, SJ (Slovaquie), Elemér Vízi, SJ (Hongrie), Dany Younés, SJ (Algérie, Egypte, Irak, Liban, Terre Sainte, Jordanie, Maroc, Syrie, Turquie).

Qu’est-ce que la Conférence des Provinciaux européens de la Compagnie de Jésus ?

La Conférence des Provinciaux européens représente 20 territoires appelés « Provinces » ou « Régions » qui s’étendent à tous les pays de l’Union européenne, mais plus largement à tout le continent européen et aussi au Proche-Orient. Cela représente environ 4000 jésuites et des centaines d’institutions différentes.