Protéger, Père Philippe Demeestère

Portrait de Philippe Demeestere, aumônier du Secours catholique à Calais, le 28 octobre 2021. ©AFP - Robin Tutenges / Hans Lucas
Portrait de Philippe Demeestere, aumônier du Secours catholique à Calais, le 28 octobre 2021. ©AFP - Robin Tutenges / Hans Lucas
Portrait de Philippe Demeestere, aumônier du Secours catholique à Calais, le 28 octobre 2021. ©AFP - Robin Tutenges / Hans Lucas
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Dans l’Heure Bleue ce soir rencontre avec Père Philippe Demeestère, l’aumônier du Secours catholique du Pas-de-Calais qui, malgré l’arrêt d’une grève de la faim pour protester contre les conditions de vie réservées aux personnes exilées à Calais, a gardé sa foi en l’humanité.

Pour que cessent les expulsions et les confiscations de matériel Père Philippe Demeestère a choisi  de faire corps avec les exilés en se privant de nourriture. 

Depuis le 11 octobre jusqu'au 4 novembre, Philippe Demeestère, prêtre jésuite de 74 ans, ne mange plus en soutien aux migrants. Il jeûne dans l’église Saint-Pierre de Calais, avec deux Calaisiens, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein. Ils demandent l’arrêt des expulsions, démantèlements, saisies et destructions d’affaires pendant la trêve hivernale, ainsi qu’un dialogue entre les associations et l’État.

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Ce soir dans l'Heure Bleue il revient aussi sur son parcours, riche en péripéties. En effet six ans après son noviciat, à l’aube de sa trentaine, Père Philippe Demeestère entre dans le monde des sans-abri. L’aventure va durer trente-cinq années. Les trois premières, alors qu’il alterne entre un boulot de déménageur et sa formation religieuse, il dort dans un asile parisien. 

Il revient aussi sur la philosophie qui guide son cheminement spirituel, son combat politique, et sa vie tout simplement.

Extraits de l'entretien

Père Philippe Demeestère, que veut dire croire en 2021?

Ce n'est certainement pas une foi intellectuelle, cérébrale. C'est croire en la vie, croire aux vivants. Je parle plutôt du vivant que de Dieu, parce que Dieu c'est tout de suite un mot qui implique des allégeances à l'Église. Le vivant, je pense que chacun, à un moment ou à un autre, en a fait l'expérience. C'est-à-dire d'être touché par quelque chose qui déborde la conscience qu'il a de lui-même. Et qui, en même temps, l'habite. Une présence, je crois à ça. 

Ne vit-on pas une période en ce moment qui est vraiment l'indifférence à l'autre, le repli sur soi-même, l'ère de l'individualisme?

C'est comme si la relation à l'autre représentait toujours une menace pour sa propre indépendance, pour son propre développement

J'ai l'impression qu'on sort d'une époque où, massivement, on s'est détaché de toutes les obédiences auxquelles on était soumis, que ce soit l'Église en premier, le pouvoir politique, etc. C'est difficile, je trouve, pour la génération présente de retrouver une relation où on demeure libre. Pour ma part, j'ai fait voeu d'obéissance à l'École supérieure et dans la Compagnie de Jésus, il y a un vœu spécial au pape. Je veux dire que ce n'est pas du tout incompatible. C'est-à-dire qu'effectivement, il y a bien, dans cette relation à l'autre, quelque chose qui n'est pas de l'ordre d'un abandon de sa liberté, mais qui est une capacité à rentrer. Je prends cette image-là au bois, dans le fil de l'autre. C'est-à-dire qu'effectivement, s'il s'agit de rentrer en relation, il s'agit de composer avec l'autre. 

L'un de vos grands credo dans le combat que vous menez en ce moment, y compris avec cette grève de la faim, c'est non seulement d'attirer l'opinion publique sur le sort de ces personnes exilées, mais aussi c'est de faire en sorte que vous retenir l'attention des pouvoirs publics pour dire qu'il faudrait qu'elle se livre à un travail politique et anthropologique et qu'elle demande l'avis à ces personnes exilées pour savoir comment procéder au lieu de systématiquement les ignorer en tant que personnes. 

C'était l'évêque du Pas-de-Calais qui était venu au moment où on avait fermé un abri de nuit sur décision municipale où on hébergeait des mineurs non-accompagnés par des personnes sortant d'un hôpital. 

Notre évêque avait dit qu'on traitait à Calais les réfugiés comme on ne traite plus des animaux ou des chiens

Il y a quand même quelque chose qui est un refus d'assumer une réalité. Pour moi, ce n'est pas simplement à propos des exilés. Vivant en Haute-Marne, une fois j'étais revenu à Paris, j'avais vu des familles roms, au pied des escaliers de la gare de Lyon avec des enfants. J'avais été vraiment proprement scandalisé. Ça ressortait déjà à l'époque, on craignait de faire un appel d'air vis-à-vis de ces populations et je me dis: 

Qu'est-ce qu'un homme politique, si finalement, la seule solution qu'il ait, c'est de pratiquer la politique de l'autruche?

Quel serait votre vœu pour 2022? 

De ne pas lâcher de toujours y croire et surtout de ne jamais croire que nous sommes réduits à l'impuissance

Il y a quelque chose, personnellement, qui me révulse, c'est tout ce qui relève de l'impuissance. Il n'y a plus rien à faire, etc. Non, non. Pour ma part, et ça participe de la vie qui repousse dans des endroits inimaginables, bétonnés, etc, il y a toujours quelque chose à faire. Ça suppose de garder de l'inventivité et de l'imagination. Donc, une part d'enfance sur ce point, il faut y croire. La foi dans la vie, c'est ça.

Musiques : 

Another brick in the wall des Pink Floyd the wall

a vava inouva d’Idir 

Le cœur du monde de Bernard Lavilliers 

Archives : 

-Emmanuel Levinas s’exprime sur l’éthique et la relation à l’autre.

Archive Ina du 20 septembre 1980 ( au micro de Jacques Chancel ) 

-Jacques Derrida à l’occasion de la sortie de son livre De l’hospitalité
Archive Ina du 29 décembre 1997 ( au micro d’Alain Veinstein )

Papier sur le naufrage de 27 migrants à Calais 

-France Inter, le 30 novembre 2021 ( par Richard Place depuis Londres) 

Générique Veridis Quo des Daft Punk 

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