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Réparations

Aux Etats-Unis, l’université Georgetown donne 27 millions de dollars à des descendants d’esclaves

La célèbre université et l’ordre des Jésuite s’engagent à ce versement en réparation d’une vente d’esclaves ayant eu lieu en 1838, et qui lui avait alors évité de faire faillite.
par Sarah Laurent
publié le 16 septembre 2023 à 16h04

En 1838, l’université de Georgetown, à Washington D.C, croule sous les dettes et risque de fermer définitivement. L’ordre jésuite, gérant cette faculté catholique créée au lendemain de la révolution américaine, décide alors de vendre 272 de leurs esclaves à des plantations du sud du pays. L’argent de la vente permit d’assurer le futur de l’université, aujourd’hui l’une des meilleures et plus sélectives du pays. Pendant longtemps, l’administration de l’université et l’ordre jésuite ont refusé de se confronter à ce passé raciste, et l’histoire de la vente fut même perdue jusqu’en 2004. L’université s’est finalement officiellement excusée en 2017.

Ce mercredi 13 septembre, l’université et l’ordre des Jésuites américains se sont engagés à donner 27 millions de dollars à l’association Descendants Truth and Reconciliation, qui lutte pour réduire les effets néfastes et durables de l’esclavage sur les descendants des 272 personnes réduites en esclavage vendues en 1838. L’université va ainsi donner 10 millions de dollars à l’association, et les Jésuites 17 millions, sous forme de donations financières et de terres d’anciennes plantations.

Un exemple de «guérison raciale»

L’association Descendants Truth and Reconciliation Fondation a été créée en 2019 par des descendants des esclaves vendus lors de la vente, mais aussi par l’ordre jésuite américain. Elle espère à terme un investissement d’au moins un milliard de dollars et a trois principaux objectifs : financer l’éducation des personnes afro-américaines descendantes d’esclaves de la même vente, prendre soin des descendants plus âgés et aider financièrement des programmes antiracistes. Les membres de Descendants espèrent aussi présenter un exemple de ce à quoi «la guérison raciale», comme ils l’appellent, pourrait ressembler pour les Etats-Unis.

Dans une déclaration publiée par l’ordre jésuite après l’annonce de la donation, Joseph Stewart, un des fondateurs de Descendants, a salué «les engagements tels que celui-ci qui nous rapprochent de la réconciliation avec le péché originel de ce pays et de soigner la maladie du racisme de notre nation».

Le président de l’université de Georgetown a déclaré que «c’est un honneur pour notre université d’avoir l’opportunité de contribuer aux efforts [de l’association]. Les vérités difficiles de notre passé nous guident dans le travail urgent de chercher et supporter le travail de réconciliation dans notre présent et notre futur». Le père Tim Kesicki, président de la conférence jésuite américaine et canadienne, juge impératif que l’Eglise ne «se détourne pas de son histoire immorale d’esclavagisme et que nous réfléchissions à comment nous pouvons réparer les erreurs du passé».

Des réparations polémiques

Le versement de réparations aux Afro-Américains descendants d’esclaves est un sujet très débattu outre-Atlantique. Les effets négatifs de l’esclavage et de la ségrégation qui a suivi sont toujours ressentis aujourd’hui par la population afro-américaine. Selon une étude de la Réserve fédérale datant de 2016, les familles afro-américaines possèdent en moyenne un capital dix fois moins élevé que les familles blanches, en partie à cause du manque de richesse générationnelle que la communauté n’a, pendant longtemps, pas eu la possibilité de se créer. Pour ces populations, les réparations seraient un moyen de pouvoir, enfin, se construire ce capital.

Des appels aux réparations pour la communauté noire ont été régulièrement lancés depuis au moins la fin de la guerre de Sécession ayant rendu l’esclavage illégal dans tout le pays en 1865. Elle a été remise au goût du jour ces dernières années, notamment depuis le début du mouvement Black Lives Matter en 2013. En 1989, le représentant démocrate John Conyers avait introduit un projet de loi au Congrès pour créer une commission pour étudier les pistes de réparations. Près de trente ans plus tard, en avril 2021, cette proposition a passé pour la première fois le state de la commission parlementaire, mais la loi n’a jamais été adoptée.

Plusieurs villes et Etats ont annoncé leurs intentions de mettre en place un système de réparations. En juin 2021, onze maires de villes américaines ont annoncé l’initiative «Mayors Organized for Reparations and Equity» (MORE), qui vise à mettre en place des programmes dans les communautés afro-américaines en guise de réparations. En Californie, un groupe de travail a été créé en 2020 pour établir une feuille de route pour dédommager les descendants des quelque 4 000 esclaves ayant vécu dans l’Etat. Le groupe a rendu son rapport en juin 2023, recommandant notamment des versements pour toute personne pouvant prouver descendre d’un esclave californien, dont le montant devra être déterminé par l’Assemblée de l’Etat, ainsi que des crédits d’impôts et des frais de scolarité gratuite dans les universités californiennes.

Néanmoins, le principe même des réparations reste très controversé. Selon un sondage publié la semaine dernière par l’université de Berkeley, une majorité d’électeurs californiens sont contre l’idée de verser de l’argent aux descendants d’esclaves californiens, malgré le fait que 60 % de la population de l’Etat convient que le passé esclavagiste des Etats-Unis continue d’impacter les populations afro-américaines.

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