Les croyants sont-ils les derniers gardiens d’un musée ?

Les jeunes n’ont plus les connaissances religieuses suffisantes pour comprendre les œuvres d’art, entend-on souvent. Oui, mais…

Contribution externe
 La fabrique d’église prie pour trouver une solution. La chapelle n’était pas une option, pour le séminaire de Namur.
Les croyants sont-ils les derniers gardiens d’un musée ? ©ÉdA – 60459513725

Une chronique de Charles Delhez, jésuite

Les jeunes n’ont plus les connaissances religieuses suffisantes pour visiter les musées et en comprendre tous les tableaux et autres œuvres d’art, entend-on souvent. C’est un fait qui illustre cette évidence : la civilisation chrétienne, que l’Europe a connue et qui a eu son apogée au Moyen Âge – période injustement décriée – n’est plus. Nous ne reviendrons pas en arrière.

Rupture et continuité

Au début de l’ère chrétienne, l’Évangile a trouvé un terrain favorable pour s’enraciner et s’étendre. La notion de monothéisme avait déjà fait du chemin. À partir de là, le christianisme put proposer une voie qui franchissait les frontières, à la différence des cultes de l’époque étroitement associées à un peuple, comme le judaïsme ou le panthéon gréco-romain. Cela fit son succès. Ajoutez à cela le Jésus de Nazareth, un personnage historique alors que les religions d’alors remontaient toutes aux temps mythiques et légendaires.

Il y a donc eu rupture, mais sur fond de continuité. Les acquis des civilisations grecque et romaine — ainsi la langue pour la première et l’organisation sociale, pour la seconde — furent des outils précieux pour la diffusion de cette nouvelle “religion”. Certes, à proprement parler, le christianisme n’en est pas une. Elle est une “mouvance” à la suite de ce Jésus. Au bout de trois siècles, hélas, cette “voie” s’instituera comme religion. Des événements comme la conversion de Constantin au christianisme (313) et son adoption comme religion d’État par Théodose Ier y contribueront amplement.

Nous vivons actuellement une marche inverse (initiée lors de la Renaissance). Alors que le christianisme avait été porteur de nouveautés sur fond de continuité culturelle, c’est aujourd’hui la “modernité” qui représente la nouveauté sur fond de continuité (les fameuses “racines chrétiennes”). La société civile cependant est porteuse de ruptures par rapport au modèle de la chrétienté médiévale. Danièle Hervieu-Léger l’a très bien montré en parlant d’exculturation du christianisme. Celui-ci se trouve de plus en plus en dehors du mainstream, du courant qui emporte notre Occident. C’est encore plus manifeste aujourd’hui avec les phénomènes de transition, de transhumanisme, de posthumanisme… Nous vivons une mue culturelle importante et le christianisme n’en est plus le moteur. Il est à la traîne.

L’histoire avance

Cette évolution, qui ne peut être ignorée, situe tout autrement les chrétiens dans la société. Il faut qu’ils se repositionnent. La tentation serait de devenir “les gardiens du musée de la civilisation chrétienne” (Adrien Candiard) ou les croisés d’un monde qui n’est plus. Après la Révolution française, il y avait déjà eu des tentatives de restauration. Rien n’y fit. Le monde d’après 1789 n’avait plus rien à voir avec celui d’avant. De même pour le christianisme actuel, sans pouvoir pour autant donner une date aussi précise (ou, plus exactement, de nombreuses dates symboliques peuvent être avancées). Inutile donc de se battre pour un retour en arrière. L’histoire avance.

Faut-il dès lors quitter le navire, car il n’a plus les promesses de l’avenir ? Non, tout au contraire. Le christianisme peut redevenir ce qu’il était à l’origine, non une religion, mais un prophétisme. Il ne s’agit pas d’une agence qui prédit l’avenir, mais d’une instance critique, comme Jésus l’a été pour son époque, lui que le peuple tenait pour un prophète, rapporte saint Marc. Les prophètes ne prévoient pas, ils préviennent, ils invitent, au nom d’un absolu divin ou humain, à regarder l’évolution des choses avec recul, leur crainte étant que soient oubliés en chemin l’un ou l’autre élément essentiel. Cette posture est évidemment moins confortable que d’être les baptisés d’une religion dominante. Le chrétien est un veilleur. Il ose croire que, dans la mouvance de ce Jésus, il a encore quelque chose à dire au monde d’aujourd’hui, des questions à lui poser. Mais toujours à la lumière de l’espérance.

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