Plaidoyer pour un humanisme universel
Les replis identitaires, les nationalismes exacerbés, les extrémismes religieux, la xénophobie, le sexisme… Autant de contestations, dans les faits, de l’idée d’universel.
- Publié le 11-03-2024 à 12h56
- Mis à jour le 11-03-2024 à 13h01
Une chronique de Charles Delhez, prêtre jésuite
Après le “je crois en Dieu”, il y a eu le “je crois en l’homme”, manière de dire que l’on croit même si l’on n’est pas “croyant”. Mais aujourd’hui, de plus en plus, on adresse à cet homme un “halte-là !”, car c’est la Nature, avec une majuscule, qui est devenue la valeur suprême.
L’humanisme est en danger. Celui-ci pourrait se définir par l’égalité de chacun (quelles que soient ses différences et même grâce à celles-ci) sur fond d’universel, mot qui signifie “qui tend vers l’un”. Comment, en effet, fonder les droits humains s’ils ne sont que le privilège de certains ? L’humanisme demeurera toujours un idéal jamais atteint, une utopie. Chez les Grecs, la cité n’appartenait pas à tous, puisqu’il y avait des esclaves et des hommes libres. La démocratie était le fait de quelques-uns. De nos jours, les replis identitaires, les nationalismes exacerbés, les extrémismes religieux, la xénophobie ne sont pas absents, sans parler de l’homophobie et du sexisme. Ce sont autant de contestations, dans les faits, de l’idée d’universel.
L’humanité est-elle une ?
À la question de l’unité de l’humanité, nous pouvons répondre de manière théorique. Mais de manière pratique, nous en sommes encore loin. Pourtant cet universalisme est inscrit en chacun de nous, tout au moins en germe. Un exemple : l’indignation. Nous sommes touchés par les injustices commises par des inconnus au détriment d’inconnus, sans que nous les connaissions. Nous avons en effet tous la même dignité, que ce soit l’enfant exploité dans certains pays en vue de notre bien à nous ou le bon bourgeois de notre société de consommation.
Cette dignité n’est pas que théorique, elle est celle que nous sommes appelés à nous donner les uns aux autres. La dignité, en effet, est toujours un cadeau que je fais à l’autre dans ma manière d’agir avec lui. Certes, nous sommes tous des êtres égaux, sans aucune exception, mais c’est un “non encore réalisé” qui oriente notre action et justifie nos combats. Ceux-ci s’efforcent de diminuer la distance qui sépare les humains, sans que personne ou aucun système politique ne puisse prétendre avoir déjà réussi ou pouvoir y parvenir infailliblement. Il en va ainsi des droits humains que nul ne possède au point de départ, mais que nous nous accordons les uns aux autres dès lors que nous voulons bâtir un monde fraternel.
Nous considérer comme égaux est donc un point de départ. “Chacun se pense lui-même comme pouvant être un autre et pense tout autre comme un autre soi-même”, dit avec justesse Francis Wolff (1). L’égalité de tous et la réciprocité ne seraient-elles pas finalement la véritable valeur universelle, qui justifie tant la notion de bien commun (à toutes les générations) que celle de droits de l’homme (dès son premier article), la démocratie, le salut universel en Jésus Christ (qui, aux yeux des chrétiens, n’est pas réservé aux seuls croyants) ou encore le dialogue entre les religions. Mais que de chemin encore à parcourir pour qu’elle soit effective. L’égalité est davantage une valeur à poursuivre qu’un principe acquis.
Inséparable de l’humanisme
En ces temps de guerres fratricides, avec Francis Wolff, je plaide pour l’universalisme, inséparable de l’humanisme. Il y aura toujours une tension (ce qui n’est pas une opposition) entre particulier et universel. Mais la beauté de la symphonie ne vient-elle pas de la contribution de chacun des instruments, si différents ? “Le vrai humanisme […] repose à la fois sur une éthique de l’égalité et sur une politique des différences”, affirme-t-il en conclusion de son Plaidoyer pour l’universel. Ceci est-il possible sans une foi en l’homme, sans un humanisme véritable ? Et, dira le croyant en Dieu, peut-on fonder l’humanisme sur lui-même, n’a-t-il pas besoin d’un socle ? À sa manière, Antoine de Saint-Exupéry, dans ses dernières lignes de Pilote de guerre, le suggère : “Les hommes étaient frères en Dieu. On ne peut être frère qu’en quelque chose. S’il n’est point de nœud qui les unisse, les hommes sont juxtaposés et non liés. On ne peut être frère tout court”.
⇒ (1) Francis Wolff, "Plaidoyer pour l’universel", Fayard 2019, p. 278. Cette chronique lui doit beaucoup.