”Un jour, une jeune est venue nous voir. Elle était possédée. Elle parlait puis une autre voix prenait le dessus et criait 'Tu m’appartiens’”
Prêtre exorciste depuis plus de dix ans, Richard Erpicum se confie sur sa vocation particulière.
- Publié le 11-10-2023 à 06h31
- Mis à jour le 11-10-2023 à 12h42
Âgé de 82 ans, le prêtre jésuite Richard Erpicum a vécu 45 ans en Afrique. C’est en 2010, de retour à Bruxelles, que l’Église lui demande d’être exorciste. Avec une équipe de sept hommes et de femmes bénévoles, il cherche depuis à soulager ou “délivrer” des personnes qui seraient “possédées”. Alors que sort ce mercredi le film L’exorciste : Dévotion (la critique est à lire dans Arts Libres), il revient sur cette mission particulière.
Le pape François, jésuite, parle beaucoup du diable, alors que le supérieur général des jésuites, Arturo Sosa, a dit au contraire que le diable est d’abord un symbole. Vous, pensez-vous que le diable existe ?
Il suffit d’ouvrir le journal pour voir que le mal et le bien ne cessent de s’affronter. Maintenant, faut-il croire en une personnalisation du mal ? Ce que je constate – je l’ai vu au Rwanda lors du génocide – c’est que certaines personnes semblent possédées par un esprit mauvais ; elles disent ou font des choses qui ne correspondent pas à ce qu’elles sont profondément.
L’Église croit donc que certaines personnes peuvent être possédées par le mal. Elle nomme donc des exorcistes. Mais qui frappe à votre porte ?
Tout qui le souhaite. La quinzaine de personnes que nous recevons chaque mois est à l’image de la diversité culturelle de la capitale, même si nous recevons un peu moins de personnes originaires de pays ou de zones dits sécularisés.
Comment se passe un rendez-vous avec vous ?
Nous sommes toujours deux, un homme et une femme, pour accueillir quelqu’un. On installe une croix, on allume une bougie est on essaye que le cadre soit apaisant. Nous discutons durant près d’une heure pour savoir ce qu’il en est vraiment. L’un de nous pose des questions et l’autre écoute et prie en silence pour confier à Dieu les désirs et les craintes de cette personne. Nous savons en effet que nous n’avons aucun pouvoir, aucun, mais nous croyons en la force et en l’amour de Dieu qui veut donner de la paix et de la joie à chacun.
Parfois, vous vous dites donc que la personne serait “possédée” ?
Quand quelqu’un vient nous voir et qu’il affirme qu’il est possédé, nous sommes prudents. Même réticents. Nous aimons tous nous dédouaner du mal que nous faisons en l’imputant à un autre.
Et quand il s’agit de pratiquer un exorcisme, comment cela se passe-t-il ? Y a-t-il des formules adaptées à chaque cas ?
Il y a ce que l’on appelle le grand exorcisme. C’est une prière officielle tirée de la tradition de l’Église. Dire cet exorcisme nécessite l’accord de l’évêque et le fait que la personne ait d’abord vu un psychologue, un psychiatre ou un médecin. Je dois avouer que je n’ai jamais pratiqué de grand exorcisme. Il y a aussi ce que l’on appelle le petit exorcisme, ou la prière de délivrance, qui est beaucoup plus simple.
Que dites-vous alors ?
Après avoir discuté avec la personne, nous récitons un psaume, puis l’un de nous s’adresse librement au Seigneur en lui confiant ce que la personne nous a dit, en lui demandant, selon une formule toute simple que nous avons écrite, de la délivrer. Nous le faisons avec calme, mais détermination dans la voix. Nous récitons ensuite un Notre Père et nous bénissons la personne.
L’Église refuse la magie. En quoi n’en serait-ce pas ?
La magie croit à des formules automatiques. Ici, nous exprimons notre intériorité, ce que nous désirons pour la personne et nous le confions à Dieu.
Si la personne se sent mieux, ne serait-ce pas tout simplement un effet placebo ?
L’écoute patiente fait évidemment du bien, mais nous croyons aussi que la prière et l’amour de Dieu libèrent concrètement.
Travaillez-vous main dans la main avec des psychiatres ?
La première chose que nous disons à une personne c’est de poursuivre le traitement médical ou psychologique qu’elle suit par ailleurs. Nous agissons en complément, à un autre niveau, celui de la spiritualité, du fond du cœur de l’Homme où se jouent des combats intérieurs. Nous le faisons donc avec la conscience que nous n’avons aucun pouvoir, que nous sommes un peu des messagers entre Dieu et la personne.
Y a-t-il un souvenir qui vous a particulièrement marqué ?
Un jour, une jeune Malienne est venue nous voir. Elle souffrait d’un dédoublement manifeste. D’une part, elle nous disait que quelqu’un la possédait puis, d’un coup, sa voix changeait, une autre voix prenait le dessus et criait “Tu m’appartiens, je fais de toi ce que je veux… ”. C’était très impressionnant. Elle est venue nous voir une, deux, trois fois… Nous étions perdus et nous ne pouvions plus que prier en silence. La voix nous prenait alors au défi, s’adressait à nous en disant : “Je sais ce que vous faites. Vous ne m’aurez pas”. Puis, à un moment, d’un coup, la jeune fille a soufflé, s’est détendue et nous a dit “Elle est partie. C’est fini”. Et c’était effectivement le cas. Un ou deux ans après, j’ai revu cette personne en bonne santé et pleine de joie.
Mais cela ne marche pas à tous les coups…
Non, pas à tous les coups. Pourquoi ? Je ne sais pas. Est-ce que nous-mêmes manquons parfois de foi ou d’espérance ? Peut-être…