Et si le soleil ne revenait pas?
La naissance est signe d’espérance et l’espérance est renaissance.
- Publié le 25-12-2021 à 13h34
À Saint-Martin-du-Haut(1), c’était l’hiver. Dans ce village, accroché haut sur le mauvais versant des Alpes, côté nord, il faisait nuit toute la journée. Le soleil ne se levait pas assez haut pour irradier les maisons. Le vieil Omer y vivait à l’écart de tous, plongé dans ses livres savants, tous aussi sombres que la météo ! Plus il en lisait, plus il broyait du noir. Personne ne lui rendait visite : il habitait trop loin, et sa compagnie n’était pas des plus agréables…
La jeune Virginie, enceinte, était bien obligée, elle, de monter là-haut. Elle faisait son ménage, c’était son gagne-pain. Tandis qu’elle s’affairait, lui parlait. Mais elle ne l’écoutait même plus. Un jour, cependant, Omer l’interrompit dans son ouvrage et l’appela près de lui :
- Regarde. Tu sais lire ? C’est écrit dans le livre : cette année est la dernière ! Le soleil ne reviendra plus. Il est fatigué. C’en est fini.
La jeune servante, effrayée, ne put se taire et en parla à tout le village. "Si le soleil ne revient pas, se disaient certains, il va faire glacial, les légumes ne pousseront plus et la vigne ne donnera plus sont fruit. Faisons vite des réserves." Et ils dévalisèrent les magasins du hameau. Les plus courageux allèrent dans les bourgs voisins et même à la ville. D’autres, par contre, continuaient à vivre comme si de rien n’était. "Racontars de vieillards, disaient-ils, bavardage de ménage !" Ils poursuivirent leur petite vie insouciante, jouant aux cartes comme si de rien n’était, contant fleurette aux jeunettes. "On est si bien dans son lit quand il fait froid dehors et que le soleil fait la grasse matinée ! Faisons comme lui ! Et s’il ne se réveille plus, nous ne pouvons quand même rien y faire." D’autres encore étaient inquiets, mais voulaient garder raison. Il y a toujours une solution pour qui sait espérer et retrousser les manches, pensaient-ils… La sinistrose n’a jamais aidé à vivre.
Au café du Petit Potin, les discussions allaient bon train chaque soir, à coup de fendant. Ce délicieux breuvage aidait chacun à s’enraciner dans ses propres convictions et ses obsessions. Un beau soir, Ernest eut une idée :
- Moi, je pars demain matin, très tôt, jusqu’au sommet de la montagne. Je veux voir ce qu’il en est, nous irons nous rappeler au soleil. Qui m’aime me suive !
Tous s’animèrent encore plus à coups d’arguments dans tous les sens. Mais, au bout du compte, ils furent trois à vouloir être de l’expédition. À l’heure dite, tous les quatre, bon pied bon œil, commencèrent l’ascension… Au bout de quelques heures, après glissades et chutes, ils arrivèrent au sommet. De là-haut, très haut, ils virent quelques rayons de soleil qui s’annonçaient au-dessus des crêtes les peu plus basses. Lueurs d’espoir !
Nos quatre amis se mirent alors à chanter, battant des mains et des pieds pour se réchauffer, les yeux fixés sur l’horizon lumineux. Le soleil brillait encore quelque part ! Pourquoi ne reviendrait-il pas à Saint-Martin-du-Haut ? Comme à son habitude, le soleil finit par se coucher, mais il l’avait vu bien vivant. Quelques rayons suffisent parfois à raviver l’espérance.
Ils redescendirent tout guillerets et racontèrent ce qu’ils avaient vu. Comme on pouvait le prévoir, certains ne les crurent pas, d’autres ne les écoutèrent guère, d’aucuns eurent envie d’y croire ; mais eux, ils en étaient convaincus : ils avaient vu le soleil.
Quelques jours plus tard, un matin, on apprit qu’Omer avait été trouvé mort dans sa maison perdue, un livre ouvert sur ses genoux. Cette nuit-là, Virginie avait mis au monde un petit Félix. Ses pleurs résonnèrent dans tout le village. En fin de matinée, les premiers rayons de soleil apparurent.
On ne sait toujours pas si ce sont les pleurs de Félix qui ont réveillé l’astre du ciel ou les chants des courageux marcheurs qui ont rappelé au soleil l’existence de Saint-Martin-du-Haut. Mais le printemps fut beau et l’été généreux. Quant au café, il a changé de nom. Il s’appelle désormais : Au soleil de demain.
>>> (1) Inspiré du roman suisse de Charles Ferdinand Ramuz, Si le soleil ne revenait pas (1937).