« Le football se soucie-t-il des droits humains et de la justice ? » C’est par cette question que le père Ludovic Lado encourage largement, mercredi 29 décembre, à boycotter la Coupe d’Afrique des nations (CAN), compétition de football dont le coup d’envoi sera donné le 9 janvier à Yaoundé, capitale du Cameroun.

Intellectuel jésuite du pays, Ludovic Lado appelle les habitants à suivre une opération « stade vide » pendant toute la compétition, en n’assistant pas aux matchs, pour protester contre la condamnation, lundi 27 décembre, de 47 membres de l’opposition à des peines allant d’un à sept ans de prison ferme. Poursuivis notamment pour « tentative d’insurrection » et « rébellion », ces militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) avaient été arrêtés en septembre 2020, lors des manifestations pacifiques organisées par le parti pour protester contre le régime du chef de l’État, Paul Biya, à la tête du pays depuis 39 ans.

« Atteinte à la dignité humaine »

« C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase », explique le père Lado à La Croix. « Il y a une situation sérieuse d’atteinte à la dignité humaine et aux droits de l’homme au Cameroun », dénonce-t-il, citant les arrestations et emprisonnements « arbitraires » des opposants politiques mais aussi la situation dans la zone anglophone du pays, en proie à une violente répression depuis 2016.

Dénoncer la Coupe d’Afrique des nations est une occasion « d’attirer l’attention sur la nécessité pour le football de s’intéresser aux questions de droit de l’homme et de dignité humaine », poursuit-il. Il aimerait qu’un boycott mette « suffisamment de pression sur le régime pour qu’il libère les prisonniers politiques ».

Ce n’est pas la première fois que Ludovic Lado prend la parole pour dénoncer la crise que connaît le pays. En octobre 2020 déjà, il avait organisé une marche pour la paix, pour « sensibiliser à la nécessité d’un dialogue pour la paix », explique-t-il. Il avait été interpellé par les forces de sécurité peu de temps après son départ, mais il assure que sa démarche est davantage un « appel à un sursaut éthique qu’un acte politique ».

Le contexte très particulier de la CAN

Cet appel intervient toutefois dans le contexte très particulier de la tenue d’une compétition sportive internationale maintes fois reportée, au sein d’un pays rongé par la corruption et miné par plusieurs crises humanitaires et sécuritaires. « Organiser la CAN, c’est un grand événement pour le pays », explique Claire Lefort-Rieu doctorante en anthropologie politique (Ceped, IRD/Université de Paris). « Tout le monde suit le football au Cameroun », poursuit-elle, alors que le pays se trouve pourtant dans une situation économique et politique en pleine déliquescence et que le chef de l’État Paul Biya est très contesté par l’opposition pour sa confiscation du pouvoir.

« Dans ce contexte, organiser le championnat permet au pouvoir de montrer que le Cameroun est un pays stable », poursuit Claire Lefort-Rieu. « Mais c’est aussi l’occasion de renforcer l’appareil sécuritaire, qui s’accompagne de violations des droits de l’Homme et restrictions des libertés individuelles. »

Une situation politique que dénonce Ludovic Lado dans son appel au boycott. « Pendant que certains s’amusent, on fait couler du sang », déplore-t-il. « Je n’appelle pas ça la fête du football, je préfère rester dans la résistance. »

Pour Claire Lefort-Rieu, « ce n’est pas anodin qu’un prêtre prenne la parole sur un sujet malgré tout politique ». La chercheuse explique que cette prise de position s’inscrit dans un contexte plus global, depuis plusieurs dizaines d’années, dans lequel l’Église catholique au Cameroun a exercé un rôle politique, notamment dans la médiation du conflit qui oppose la région anglophone au gouvernement.