Que l’Église change son discours sur la sexualité. La proposition emporte l’adhésion massive de neuf catholiques sur dix (selon le sondage Ifop-La Croix du 28 octobre), mais aussi celle de nombreux théologiens moralistes. Pour l’un d’eux, cette réforme est même à la fois l’une des plus « urgentes » et l’une des plus « difficiles » à mener pour le catholicisme contemporain. Or c’est bien à cet ambitieux travail de renouvellement que la Ciase invite l’Église, en lui recommandant, tout d’abord, de passer au crible « ce que l’excès paradoxal de fixation de la morale catholique sur les questions sexuelles peut avoir de contre-productif en matière de lutte contre les abus sexuels ». Selon le rapport Sauvé, en effet, la rigueur persistante du discours sur la sexualité a paradoxalement conduit certains catholiques, notamment des prêtres, à de graves transgressions, suivant l’idée selon laquelle « si l’on ne respecte pas toute la loi, alors on ne respecte rien du tout ».

À cela s’ajoute la confusion entre les différents « péchés contre la chair », que la tradition catholique a tous regroupés sous l’égide du sixième commandement : « Tu ne commettras pas d’adultère. » « Cette énumération d’actes sans gradation de leur gravité est hautement problématique, car on ne saurait mettre sur le même plan la masturbation et le viol, par exemple », déplore Marie-Jo Thiel, professeure à la faculté de théologie de l’université de Strasbourg. Comme d’autres, elle considère le viol comme « un crime qui tue l’autre », enfreignant plutôt le cinquième commandement. « Encore aujourd’hui, tout ce qui sort du cadre promu par l’Église serait “mal” », renchérit sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref). « On entretient ainsi une confusion entre le mal et l’échec, que rencontrent pourtant tous les humains à un moment ou l’autre de leur vie affective et sexuelle. Résultat, on ne sait pas reconnaître ce qu’est vraiment le mal, comme les violences sexuelles, ou se saisir de l’autre comme d’un objet. »

Si la focalisation du catholicisme sur la natalité et la sexualité s’est intensifiée à partir du XIXe siècle, en proportion de la défaite de l’Église sur la scène politique, elle remonte en fait aux débuts du christianisme. L’héritage augustinien se révèle particulièrement « lourd » en la matière, selon le jésuite Alain Thomasset, enseignant au Centre Sèvres. « Pour saint Augustin, le désir sexuel reste un effet du péché originel. Il n’est sauvé que par l’acte de procréer au sein du mariage. » Le concile Vatican II a certes ouvert la sexualité à d’autres finalités que la procréation, comme la communion entre les époux, mais du travail reste à faire pour sortir d’une culture du seul « permis-défendu » et élargir notre regard, estime ce jésuite. « L’éthique sexuelle catholique reste très normative. Bien plus normative que la doctrine sociale de l’Église, qui prend en compte les relations, les circonstances, les intentions, la complexité du réel… L’anthropologie relationnelle déjà présente dans la doctrine sociale serait bienvenue dans l’éthique sexuelle. »

Alors que l’interdiction de la pilule contraceptive par l’encyclique Humanae vitae en 1968 avait déjà contribué à disqualifier la parole de l’Église sur la sexualité, la parution du livreSodomasur le réseau homosexuel au Vatican en 2019 (1), ainsi que la multiplication des révélations sur la pédocriminalité semblent achever de la rendre inaudible sur ces questions. Une partie des catholiques le regrettent, jugeant l’institution légitime quand elle appelle à ne pas galvauder le don des corps ni à banaliser l’acte sexuel, à l’heure où la pornographie n’a jamais été aussi facile d’accès.

Une évolution du magistère est-elle envisageable ? « D’abord, il faut garder à l’esprit qu’une bonne partie de l’épiscopat français reste marquée par l’héritage de Jean-Paul II et de Benoît XVI, qui défendaient une morale sexuelle avec des normes claires, au nom de la nature humaine », souligne Francine Charoy, qui a enseigné vingt ans à l’Institut catholique de Paris. La position du pape François est certes différente, encourageant davantage le discernement dans les situations complexes, mais il n’a pas changé la doctrine sur le fond (lire ci-contre). Une partie des théologiens se disent « déçus », estimant que le pape pourrait par exemple modifier le Catéchisme de l’Église catholique (qui qualifie notamment les actes homosexuels d’« intrinsèquement désordonnés »), comme il l’a fait sur la peine de mort en 2018.

Francine Charoy, elle, souhaite voir l’Église sortir d’un « affrontement entre deux blocs », progressiste et conservateur. « Il nous faut travailler dans la synodalité, entre théologiens différents, pour analyser ensemble le déni dans lequel l’institution est si longtemps restée concernant la pédocriminalité. » Pour sortir enfin de la « culture du silence » mise en lumière par le rapport Sauvé.

(1) Robert Laffont, 632 p., 23 €.