« Ce vœu d’obéissance au pape rappelle que nous sommes au service de l’Église universelle »

La Croix : Les membres de la Compagnie de Jésus prononcent les trois vœux de pauvreté, chasteté et obéissance comme tout religieux, avec un quatrième vœu d’obéissance particulière au pape. Pourquoi ?

Père Thierry Lamboley : Ce quatrième vœu est caractéristique de la Compagnie de Jésus : le jésuite s’engage à obéir au pape dans les missions confiées par lui. À l’origine, Ignace et ses premiers compagnons avaient pour projet d’aller vivre à Jérusalem. Mais les conflits avec l’Empire ottoman empêchaient l’accès à la Terre sainte. Aussi ont-ils décidé que, si au bout d’une année ils n’avaient pas trouvé de bateau pour aller à Jérusalem, ils se mettraient à la disposition du pape Paul III « pour toute mission partout dans le monde ».

Comment ce vœu est-il compris aujourd’hui ?

P.T.L : Les jésuites ont gardé cet engagement : ils font confiance à celui que le Seigneur a placé à Rome pour discerner là où sont les plus grands besoins de missionnaires. Ce vœu crée un lien fort d’obéissance de la Compagnie au pape. Paul VI et Jean-Paul II nous ont par exemple encouragés à être présents dans le dialogue avec l’athéisme, à travailler à la réception de Vatican II… Benoît XVI a invité les jésuites à aller et à demeurer aux frontières, là où Dieu est méconnu ou mal connu.

Récemment, la Compagnie de Jésus a défini les « préférences apostoliques universelles » pour les dix ans à venir, orientations que le préposé général a soumises au pape François pour qu’il les confirme. C’est une manière de vivre aujourd’hui ce quatrième vœu d’obéissance au pape pour les missions, il s’agit de « sentir avec l’Église et en Église ».

Chaque jésuite ne s’en remet pas directement au pape. Comment ce vœu trouve-t-il sa déclinaison individuelle ?

P.T.L : Ce quatrième vœu rappelle que nous ne sommes pas à notre propre service mais bien au service de l’Église universelle, obéissant à celui qui est le plus à même de définir les priorités. Un jésuite est envoyé par un supérieur. Chaque année la mission est discutée, confirmée ou modifiée. La relation d’obéissance s’inscrit dans une histoire personnelle, dans la vie communautaire, avec des discernements successifs, car la pratique de l’obéissance religieuse n’est pas une science exacte.

Comment le vœu d’obéissance du religieux se conjugue-t-il avec le discernement qui est une des spécificités jésuites ?

P.T.L : Obéir suppose d’écouter : l’obéissance renvoie à l’écoute de la Parole de Dieu et à la manière de répondre à l’appel à la vie. Il ne s’agit pas tant d’obéir aveuglément, que d’accepter de s’en remettre à un autre qui va pouvoir confirmer – ou non – ce que je ressens. Saint Ignace, après sa conversion, était frappé de scrupules et voulait s’en sortir seul, jusqu’à ce qu’il accepte de s’en remettre à un confesseur. Nous avons besoin d’un tiers pour ne pas nous leurrer.

Mais n’est-ce pas au supérieur que revient la décision ?

P.T.L : L’obéissance n’est pas une mise sous tutelle mais bien un échange dans une confiance mutuelle, avec pour but de devenir toujours plus auteur de sa propre vie. Et la parole de celui qui obéit est tout aussi importante. Se confier n’est jamais facile. Mais faute de dialogue, la relation d’obéissance peut être faussée, et conduire à des abus d’autorité.

Avant d’obéir, l’important c’est d’avoir l’avant-dernier mot. Le dernier appartient au supérieur, qui peut prendre en compte des raisons supérieures. Mais jusqu’à l’avant-dernier mot, il est possible d’exprimer ses craintes, ses objections, sa peur de ne pas réussir. Il ne faut pas se taire trop vite.