► Que dit l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme ?

C’est une décision de justice qui promet de relancer le débat sur les potentielles dérives de la loi autorisant l’euthanasie en Belgique depuis vingt ans. Dans un « arrêt de chambre » (1) rendu mardi 4 octobre dans l’affaire « Tom Mortier contre la Belgique », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pointe plusieurs « défaillances » dans la procédure de contrôle de l’euthanasie de la mère du plaignant, réalisée le 19 avril 2012. Des défaillances qu’elle considère, à l’unanimité des sept juges, comme une violation de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prescrit que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi ».

Pour justifier sa décision, la Cour souligne dans un communiqué le « manque d’indépendance » de la Commission fédérale chargée du contrôle et de l’évaluation des euthanasies pratiquées, ainsi que le manque « de promptitude » des enquêtes pénales conduites dans cette affaire à la suite de la plainte déposée en avril 2014 par Tom Mortier.

► Quel est le problème ?

Pour bien saisir les tenants et aboutissants de ce dossier complexe, il faut rappeler que la loi belge de mai 2002 instaure un contrôle automatique de la légalité des euthanasies pratiquées. Mais ce contrôle s’effectue a posteriori, par une Commission fédérale où siègent des docteurs en médecine, des juristes et des personnalités réputées expertes.

Pour statuer, cette commission s’appuie sur un « document d’enregistrement » de l’euthanasie qui comprend deux volets. Le volet 1 reprend les données du patient et cite nommément les médecins impliqués ou les personnes consultées, mais il reste confidentiel, sauf décision contraire de la commission. En règle générale, c’est sur la base du volet 2, où les données sont anonymisées, qu’est vérifié si l’euthanasie a été pratiquée conformément aux conditions fixées par la loi.

Il peut ainsi se trouver des cas où un médecin siégeant dans la commission se retrouve à juger de la conformité d’une euthanasie qu’il a pratiquée sans que personne ne le sache s’il ne se déclare pas. Ce qui est arrivé dans l’affaire Mortier : en juin 2013, la commission de contrôle qui devait se prononcer sur la légalité de l’euthanasie de la mère de Tom Mortier était coprésidée par le professeur D., celui-là même qui avait posé le geste final. Sans pour autant qu’il juge utile de se récuser. Certes, la loi belge ne l’y oblige pas, mais un tel système de contrôle peut-il être réellement indépendant quand rien n’empêche un médecin d’être à la fois juge et partie de la légalité de ses propres actes ? La CEDH a estimé que non.

► Quelles sont les réactions à cette décision de justice ?

En Belgique, cet arrêt vient conforter ceux qui pensent que la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie ne fonctionne pas comme elle devrait. « Cette affaire objectivise le problème d’une commission qui ressemble à un club trop fermé et qui prend trop de liberté dans l’interprétation de la loi, souligne Marc Desmet, jésuite et médecin. En vingt ans, un seul cas a été transmis à la justice. Cet arrêt devrait inciter la commission à travailler plus rigoureusement. Cet effort devrait se situer dans une évaluation globale de la loi qui n’a toujours pas été faite après vingt ans. »

Membre de la commission de contrôle et présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en Belgique, Jacqueline Herremans minimise au contraire l’impact de cet arrêt. « La CEDH ne remet en cause ni la loi qui légalise l’euthanasie, ni le principe d’un contrôle a posteriori, et c’est l’essentiel », souligne-t-elle. « En réalité, les juges reprochent à la commission une apparence de non-indépendance qui pourrait être facilement réglée. Il suffirait de lever l’anonymat du volet 1 qui, de mon point de vue personnel, n’est plus nécessaire à maintenir. Dès lors, un médecin qui aurait pratiqué une euthanasie serait obligé de se récuser lors de l’examen du dossier qui le concerne », plaide-t-elle.

À l’heure où la France entame le débat sur une possible révision de la loi encadrant la fin de vie, l’avocat et militant Erwan Le Morhedec (2) voit dans cette décision un signe en forme d’avertissement : « Alors que le modèle belge est souvent cité en exemple par les pro euthanasie, cette affaire illustre parfaitement le fait que ce système est loin d’être impartial et au-dessus de tout soupçon. Peut-on s’en satisfaire quand on parle de situations où l’on a provoqué, sciemment, la mort de quelqu’un ? »

(1) Décision qui peut encore faire l’objet d’un renvoi.

(2) Auteur de Fin de vie en République : avant d’éteindre la lumière, Éd. du Cerf, janvier 2022.