Quand renoncera-t-on au sport aéronautique et aux city-trips en avion ?
Souhaiter restreindre certaines libertés individuelles ne veut pas dire que l’on est liberticide, car la liberté fondamentale est bien différente que ces petites libertés.
- Publié le 03-11-2023 à 10h05
Une chronique de Charles Delhez, jésuite
Être libre, ce n’est pas avoir toutes les libertés. Certaines ont d’ailleurs été supprimées. Ainsi la mise à mort dans les jeux du cirque ou l’exposition des enfants jusqu’à six ou sept ans, chez les Romains, ou encore l’esclavage. Un peu partout, la peine capitale est contestée, la vitesse est limitée sur les routes, l’alcool au volant strictement contrôlé. Il y a des libertés qu’on ne s’accorde plus.
Quand donc renoncera-t-on à certaines libertés écocides ? Ainsi, le sport aéronautique, les city-trips d’un week-end en avion, les croisières maritimes… À chaque fois, il y a de bonnes justifications, mais ont-elles du poids si on veut atteindre les objectifs écologiques et donc éviter de mettre la planète en grave danger et l’humanité en péril ?
“L’effondrement climatique a commencé”, affirme le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. “Nous poussons nos systèmes vers une instabilité dangereuse”, “la vie sur Terre est en état de siège”, a-t-on pu lire dans La Libre. “Notre monde s’effrite”, selon l’expression forte du pape François. Dans sa récente exhortation, il déplore que “l’immense progrès technologique [n’ait] pas été accompagné d’un développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en conscience” (Laudate Deum 24).
La vraie liberté
La liberté des autres est souvent vue comme une limite à la mienne. Certes, cette vision est négative, mais c’est déjà un point de départ. Aujourd’hui, ces limites ne seraient-elles pas aussi l’équilibre de la nature et la biodiversité ? Nous ne pouvons pas les oublier, sous peine de voir notre humanité disparaître. Notre mode de vie en effet les compromet. Il y a donc des libertés qu’on ne peut plus s’octroyer. Nous ne pouvons nous contenter de colmatage, de bricolage, de raboutage au fil de fer, selon les mots du pape.
L’idée de nous limiter nous répugne, tant nous sommes prisonniers de notre “bulle libidinale” (Mark Hunyadi). Or, toute vie sociale suppose que l’on restreigne les libertés individuelles, ce qui ne signifie pas toucher à notre liberté fondamentale.
La liberté, en effet, est tout autre chose qu’un ensemble de petites libertés. Celles-ci sont des permissions que l’on s’accorde ou non tandis que la liberté est le propre de la condition humaine et nous met sur pied d’égalité les uns avec les autres et suppose la liberté de tous (ce qui a d’ailleurs mis des millénaires pour être reconnu à tout humain et nous n’y sommes pas encore).
“Être libre, c’est vivre d’une façon qui respecte et renforce la liberté des autres”, estime Nelson Mandela. C’est cette liberté qui importe. Être libre, c’est toujours être libre pour. Et puisque nous sommes tous imbriqués dans la nature, que nous en faisons partie, respecter la liberté de l’autre, c’est nécessairement respecter la Planète, avoir une attitude proactive en vue de sa conservation.
Le renard dans un poulailler
Selon Luc Ferry, être libre c’est “parfois, sacrifier notre bien-être au nom de valeurs supérieures au bonheur”. Du moins, dirais-je, à l’idée que nous nous en faisons. Pour la question qui nous occupe, ne serait-ce pas finalement sacrifier notre confort et prendre nos responsabilités, face aux autres, face au monde des vivants et à la Planète ? À propos de chaque décision de consommation, interrogeons-nous : est-ce bien nécessaire, utile et non nuisible ? Ne soyons pas un renard libre dans un poulailler !
La décroissance est déjà un fait, elle s’impose de plus en plus à nous. Quand on n’a plus le choix, il ne reste qu’à choisir d’accompagner la nécessité. Il nous appartient de réussir cette décroissance économique sans toucher au bien-être, de nous contenter de ce qui est suffisant pour bien vivre. Déciderons-nous à temps de ralentir notre course folle et de réduire l’inessentiel pour ne pas compromettre l’essentiel ? Peut-être d’ailleurs vivrons-nous mieux, même si c’est autrement. Nous sommes la dernière génération à pouvoir encore agir “librement” avant d’être définitivement prisonniers de nos erreurs passées, devenues irréversibles.
Titre de la rédaction. Titre original : “La liberté et les libertés”