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Marseille : loin du repli identitaire, ces catholiques vivent les valeurs de l'Eglise en accueillant des migrants

Par D.Ta.

Depuis une douzaine d'année, avec le programme Welcome de Jesuit Refugee service, Marie-Dominique et Jean-François Morel accueillent chez eux de jeunes réfugiés comme N'Famara, 25 ans. Une expérience qui a bouleversé leurs vies à tous.

Depuis une douzaine d'année, avec le programme Welcome de Jesuit Refugee service, Marie-Dominique et Jean-François Morel accueillent chez eux de jeunes réfugiés comme N'Famara, 25 ans. Une expérience qui a bouleversé leurs vies à tous.

Photo Denis THaust

Marseille

Pour eux, le message du Pape François en faveur du secours aux migrants résonne particulièrement. Loin des replis identitaires de certains catholiques, ces citoyens ou membres du clergé voient au contraire dans son discours une affirmation des valeurs...

Un verre de Pouilly-Fuissé pour eux, une canette de Vimto, ce soda (raisin, carotte noire) qui cartonne sur le continent africain, pour lui. Dans le magnifique patio de Marie-Dominique et Jean-François Morel, au coeur du quartier Préfecture (6e), N'Famara trinque avec une famille qui, au fil des ans est devenue la sienne. Ou plutôt : l'une des "quinze familles" marseillaises qui depuis son arrivée en France, il y a six ans, ont ouvert leurs portes à ce jeune Guinéen et tissé autour de lui un filet de sécurité et d'affection. Ensemble, ils ont partagé des repas, des anniversaires, des joies et des peines, dépassé la barrière de la langue en jouant au Mistigri et en cuisinant. "Ils ont changé ma vie et m'ont changé", dit simplement le jeune homme, aujourd'hui heureux et pacsé à Chloé, une Gapençaise.

Chez N'Famara comme chez tous les jeunes réfugiés accueillis au fil des ans dans leur bel appartement bourgeois, les Morel ont, disent-ils, trouvé un trésor : celui de la "rencontre", de "l'ouverture", un "émerveillement", aussi, face à la "rage de vivre" de ces garçons venus de loin dans l'espoir d'une vie meilleure. Rien, pourtant, ne les destinait au départ – catholiques, elle était enseignante dans le privé, lui directeur tout juste retraité d'un gros groupe de promotion immobilière — à leur ouvrir leur porte : "Et puis il y a une douzaine d'années, une personne du programme Welcome de Jesuit Refugee service (JRS) France, nous a parlé du besoin de loger de jeunes demandeurs d'asile, en attente de leur régularisation. Quand nos enfants ont quitté la maison, on s'est lancés."

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À Marseille, 70 familles, issues de tous les milieux sociaux, se sont inscrites dans ce dispositif, discret mais solide, qui s'étend aussi à Arles, Aubagne et Gémenos. "Ce qui les rassure, pose Bernard Delanglade, coordinateur de JRS dans les Bouches-du-Rhône, c'est qu'ils sont suivis par un tuteur de l'association, le fil rouge de cet accompagnement. Et que si les jeunes sont hébergés de six à neuf mois en moyenne, ils changent de foyer toutes les cinq semaines." La démarche d'héberger un étranger n'en reste pas moins "inattendue voire extravagante. Mais elle nous transforme de l'intérieur, nous ouvre littéralement au monde", soutient-il avec conviction.

"Nos amis trouvent ça formidable, mais parfois, on nous dit que c'est un peu vain, qu'on ne va pas régler les problèmes du monde, note Jean-François. On n'y prétend pas, mais on essaie de faire notre part.""C'est bien le message du Christ d'aller vers les petits, les rejetés du monde, de cheminer vers la confiance, l'espérance", ajoute son épouse.

Alors "évidemment", le Pape François, qui fait du sort des migrants le combat de son pontificat, les "touche", et les ramène à l'essence même de leur foi. "Il remet les plus pauvres au centre de l'Église", apprécie ainsi Jean-François. "Il rappelle que le catholicisme ne peut être que social et fraternel, il éveille les consciences", éclaire à son tour Hélène Jammayrac, avocate d'affaires, investie dans l'organisation des Rencontres méditerranéennes, et qui accueille elle aussi avec son mari des jeunes réfugiés dans leur belle maison du Prado. "Le Pape François est un allié puissant, une figure politique forte, dans la prise en compte de ces personnes qui ont pris des risques incommensurables pour traverser la Méditerranée, devenue un cimetière", enchaîne Bernard Delanglade.

"Quand quelqu'un se noie, appelle à l'aide, on ne lui demande pas ses papiers ou ses raisons, on lui porte secours : voilà le code de tous les marins du monde."Cette règle qu'a faite sienne l'ONG SOS Méditerranée, c'est un homme de la mer qui les prononce, ce jeudi matin, au pied de Notre-Dame de la Garde. Au bout du petit parking P3, Jean-Philippe Rigaud, ancien capitaine au long cours, aumônier du port et diacre de la pastorale maritime -"une paroisse aux dimensions du monde", souffle sa femme, Marie-Agnès- veille avec amour sur ce monument surmonté de la Croix de Camargue qu'il s'est battu pour ériger en l'honneur de "ceux dont le nom n'est inscrit nulle part": les disparus en mer. Ceux dont les flots n'ont pas rendu les corps, qu'ils soient marins, pratiquant"le métier le plus dangereux du monde", pris dans une tempête comme l'équipage du Bourbon Rhode, en 2019, le jeune Sébastien Rigal, tombé à l'eau en 2003, ou ces migrants, anonymes, "victimes de l'immigration clandestine". Plus de 26 000 d'entre eux ont péri, depuis 2014, en tentant de traverser la Méditerranée, qui demeure, plus que jamais, la route migratoire la plus périlleuse au monde. Près du souverain pontife, le 22 septembre, des familles de victimes, des naufragés survivants, ou des marins qui, un jour, se sont portés à leur secours. "Ce n'est pas de la politique, c'est humain, basique, on n'a pas le droit d'y déroger", reprend Jean-Philippe Rigaud.