Connaîtrons-nous un jour la joie ?
Dans une société dépressive, on est habitué à voir les menaces, mais l’espérance nous invite à repérer les promesses, les premiers bourgeons. Vivre dans l’espérance du futur transforme le présent et oblige à anticiper.
- Publié le 03-04-2023 à 11h16
- Mis à jour le 03-04-2023 à 11h33
Une chronique de Charles Delhez, prêtre jésuite
La science nous invite à scruter nos origines : d’où venons-nous, comment la vie humaine est-elle apparue sur la terre… ? Mais il y a une autre question : où allons-nous, les désirs qui nous habitent seront-ils un jour comblés ? Connaîtrons-nous la paix, la joie ? Ce regard vers l’avenir, qui devine ce que l’on ne voit pas encore, le rai de lumière dessous la porte encore fermée, les chrétiens l’appellent espérance. Cela n’a rien à voir avec l’espoir, souvent décevant, tandis que l’espérance, dit Saint-Paul, ne déçoit pas. Un philosophe a pu écrire : “Quand l’espérance m’a déçu dans un de mes espoirs, je ne puis plus être fidèle à cet espoir, il me reste à être fidèle à l’espérance” (Karl Jaspers). L’espoir meurt, l’espérance demeure.
Il ne faut pas non plus confondre l’espérance avec le progrès dont nous avons fait le synonyme de croissance illimitée, postulant qu’il était toujours positif. On l’a situé dans les innovations techniques et médicales, mais on en mesure aujourd’hui la fragilité. Dans son adresse de l’an 2000, en 1986, Jean Cocteau expliquait qu’il était possible que le Progrès soit le développement d’une erreur. La question est donc s’interroger : nous rend-il plus humain ?
Un mouvement orienté
L’espérance est un mouvement enraciné au plus profond de nous-même. Il traverse nos espoirs déçus. Quelque chose me dit que cela vaut la peine de continuer le chemin, malgré les démentis du présent. L’horizon reste prometteur. Et il ne s’agit non pas de mon seul projet personnel, mais de l’avenir de l’humanité tout entière.
Ce mouvement est donc orienté. C’est l’originalité judéo-chrétienne. Le temps n’est plus cyclique, il y a un horizon, un messie que l’on attend et qui viendra sur les nuées ou qui reviendra, selon qu’on est juif ou chrétien. À la fin des temps, Dieu pourra enfin dire que “cela était très bon”, comme il l’annonce dès la première page de la Bible. Nous avançons tendus vers le bien, et pas seulement en pensée mais en acte. Le philosophe Antonio Gramsci opposait au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté. Je constate ce qui ne va pas, mais je crois que cela peut aller mieux et je m’y attelle.
Cet avenir s’annonce déjà dans le présent. Dans une société dépressive, on est habitué à voir les menaces, mais l’espérance nous invite à repérer les promesses, les premiers bourgeons. Dans nos supputations, Il ne faudrait pas oublier l’imprévisible. Certes, si l’on continue comme cela, c’est mal parti. Mais l’histoire humaine est faite de ces événements que personne n’avait imaginés. Il peut toujours arriver des choses que nous ne soupçonnions pas. Qui avait prévu la chute du mur de Berlin ? La naissance d’un enfant est à ce propos une belle image : “Chaque enfant qui naît porte en lui l’espoir que Dieu n’est pas découragé au sujet de l’homme”, écrivait le poète indien Tagore.
Avec audace
Le pessimiste voyage dans un éternel brouillard, l’optimiste, celui qui est animé par l’espérance, découvre un horizon dégagé qui l’appelle à continuer le chemin. Nous sommes “appelés par notre avenir”, selon la belle expression de Christine Pedotti. Et cette espérance dans un au-delà “contamine par avance la vie quotidienne”, ajoute-t-elle.
Vivre dans l’espérance du futur transforme donc le présent et oblige à anticiper. Pour recevoir le vin nouveau, dirait Jésus, il faut préparer des outres neuves. “L’espérance est audace, lit-on dans l’encyclique Fratelli tutti du pape François. Elle sait regarder au-delà̀ du confort personnel, des petites sécurités et des compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir à de grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne.” Sans audace, en effet, le monde sera toujours du pareil au même. Or, nous rêvons tous d’un monde différent.
”Lorsqu’un seul homme rêve, ce n’est qu’un rêve. Mais si beaucoup d’hommes rêvent ensemble, c’est le début d’une nouvelle réalité” (F. Hundertwasser). Il ne s’agit pas de naïveté ni de spéculation philosophique, mais d’un engagement : je m’engage dès aujourd’hui pour que l’avenir auquel je crois advienne et je tends la main vers d’autres qui partagent mon idéal.