Chaussures de randonnée et bob beige fatigué, Philippe Demeestere est juché sur le Cap Blanc-Nez, sur les hauteurs de Calais. Il a voulu faire une pause avant de commencer sa journée chargée. « Après on n’aura plus le temps », lâche ce prêtre jésuite qui a le tutoiement facile et qui n’aime pas qu’on l’appelle « père ». À l’horizon se dessine un morceau de terre qui sépare la Manche du ciel. « Tiens regarde, là-bas c’est l’Angleterre. Ça rend tout le reste plus concret, non ? »

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Envoyé par la Compagnie de Jésus à Calais en février 2016 après plusieurs missions auprès des sans-abri, Philippe Demeestere est arrivé sans connaître personne. Aujourd’hui, il est une figure locale, aumônier du Secours catholique et l’un des nombreux visages de l’engagement des chrétiens auprès des migrants, qui ne connaît pas de relâche en cette période estivale.

La loi de 1905

Depuis le début des années 1990, avec les guerres de Yougoslavie qui marquent le commencement de la crise migratoire frappant la ville de Calais, les catholiques s’engagent, souvent à l’encontre des politiques locales. Mais certains chrétiens profitent de la loi de 1905 qui permet aux initiatives d’Église d’échapper au contrôle de la mairie. Jusqu’à un certain point. En février dernier, la maison du doyenné, qui hébergeait quelques personnes pendant les nuits d’hiver, a reçu une demande de fermeture administrative, pour raisons de sécurité.

Philippe Demeestere vit juste en face. Le prêtre continue d’héberger des migrants dans sa petite maison, propriété du diocèse. Sur la boîte aux lettres de ce qu’il surnomme la « maison de la miséricorde », figurent au moins six noms : le sien accompagne ceux de deux bénévoles et de trois jeunes qui logent à l’étage. « Je n’ai jamais vécu en communauté religieuse, mais j’ai toujours partagé mon quotidien avec d’autres, raconte le jésuite, pour qui sa vocation est de faire une place à ceux qui n’en ont pas. La vie communautaire est un tel lieu d’apprentissage pour les exclus que je ne vois pas pourquoi je me réserverais un chez-moi. »

« Se rendre présent à la réalité du monde »

Des bénévoles de passage sont hébergés aussi. Catholique parisienne, Stéphanie est venue passer une semaine à Calais. Au programme du jour : petit-déjeuner avec des Érythréens et l’association Écarts, cofondée par Philippe Demeestere et son acolyte Pauline Roeser, puis permanence à l’accueil de jour du Secours catholique. Là, les migrants peuvent faire une lessive, recharger leur téléphone, se reposer, jouer au foot. Au Secours catholique, des scouts en camp d’été et bénévoles de longue date tartinent des sandwichs. « Jésus a rencontré chacun sur son lieu de vie, résume Stéphanie pour expliquer son engagement. Le Christ nous invite à nous rendre présents à la réalité de notre monde. »

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En mars, l’évêque d’Arras, Mgr Olivier Leborgne, s’est rendu à Calais en compagnie de la présidente du Secours catholique Véronique Fayet, pour y dénoncer les conditions de vie des personnes qui cherchent à partir pour l’Angleterre et appeler la mairie à de meilleurs traitements. Les paroisses de Calais ont relayé cet appel dans une lettre ouverte au préfet. « Nous avons eu une réponse, oui. Des chiffres », désespère le père Pierre Poidevin, curé de Calais depuis dix ans.

La tentation du découragement

Le prêtre, qui héberge de temps en temps des migrants dans son presbytère, travaille avec les associations locales et les chrétiens engagés : « Depuis le début de ma mission, Philippe est arrivé, ainsi que plusieurs communautés religieuses qui s’engagent.Parfois on a l’impression que ça ne finira jamais. On peut être tenté par le découragement. » Alors, le prêtre s’échine à relayer les initiatives d’aide aux migrants, et à étoffer les propositions spirituelles aux habitants pour les aider à tenir. « Ce que nous faisons n’est qu’une goutte dans l’océan. Mais si cette goutte n’existait pas, elle manquerait »,résume-t-il en citant Mère Teresa.

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Justement, Alain vient de sortir de la messe de 18 heures à la paroisse Saint-Pierre. Calaisien depuis trente ans, il rythme sa retraite en faisant le plein des camions d’associations, allant chercher des réserves alimentaires, collectant du pain… Et en priant pour migrants et bénévoles. « C’est une forme de désobéissance civile, mais ce que vous faites au plus petit d’entre les miens… »

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La crise migratoire à Calais

La présence migratoire à Calais commence au début des années 1990. Des familles yougoslaves puis kosovares sont expulsées du sol anglais et se retrouvent à Calais.

En 1999, une ancienne usine est mise à disposition pour héberger 1 800 migrants. Le centre social fermera en 2002.

Au printemps 2014, une vague de migrants arrive de Méditerranée. Progressivement la « jungle » de Calais se forme. Elle concentrera jusqu’à 9 000 migrants au plus fort de la crise, en août 2016.

En octobre 2016,la « jungle » est démantelée. Les migrants sont répartis sur le territoire. À Calais, une politique « zéro point de fixation » est mise en place, qui se solde par l’expulsion systématique des lieux de vie informels.

Aujourd’hui, les migrants seraient environ 1 200 à Calais, attendant de traverser la Manche.