La Croix : Pourquoi avez-vous fait le choix de devenir missionnaire ?

Mgr Henri Coudray : Quand je leur ai annoncé ma vocation, mes parents l’ont bien accueilli. Ma mère a dit : « avec ton père, nous passerons notre retraite dans ton presbytère ». Ça a aussitôt créé en moi une distance vis-à-vis du ministère de prêtre diocésain ! Puis je suis rentré au petit séminaire, où j’avais déjà des idées d’un ailleurs missionnaire, mais je pensais que cela ne relevait que d’un certain romantisme. Une fois au grand séminaire, j’ai suivi une retraite prêchée par des jésuites. C’est là que je me suis vraiment posé la question et j’ai senti que j’étais appelé à être dans une région où il n’y avait pas beaucoup de chrétiens.

Ma théologie missionnaire est celle exposée par saint Pierre dans sa première lettre : « Ayez une belle conduite parmi les gens des nations » (1P2,12). Lorsque j’ai découvert le Tchad pour la première fois dans les années 1960 pour ma coopération, il m’a semblé qu’il serait malsain d’être présent presque uniquement auprès des « christianisables » et de ne pas l’être auprès des musulmans.

Comment avez-vous vécu votre mission d’évêque missionnaire, dans un territoire très majoritairement non-chrétien ?

Mgr H.C. : Dieu ne manque pas d’humour. Alors que je voulais faire l’Église « buissonnière » - vivre un apostolat aux frontières du christianisme et de l’islam, ce que j’ai tout de même fait pendant longtemps - je me suis retrouvé à devenir un acteur de l’implantation de l’Église en plein dar al-islam, en pleine terre d’islam : grand de 540 000 km2, soit l’équivalent de la France métropolitaine, le vicariat de Mongo compte 95 % de musulmans.

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Alors que celui-ci était encore intégré à l’archevêché de N’Djamena j’ai été missionné pour voir si son statut devait évoluer. J’ai vu qu’il y avait un besoin d’autonomie pour concevoir la pastorale, qui manquait de proximité avec l’évêque. C’est ainsi qu’en 2001 le territoire a été détaché de la circonscription de N’Djamena pour former une préfecture apostolique, à la tête de laquelle j’ai été nommé.

Quand elle a été érigée en vicariat apostolique huit ans plus tard, j’en suis devenu le premier évêque. Puisqu’il y avait un évêque, il fallait donc une cathédrale que j’ai fait bâtir. Désormais, l’Église catholique - avec ses quelques milliers de fidèles - fait partie du paysage, elle est chez elle, dans ses murs. Cela a également permis de rendre visible les croyants du nord du pays et d’éviter que les « nordistes » ne soient automatiquement assimilés aux musulmans.

J’ai vécu ma charge d’évêque comme celle d’un missionnaire qui a pour conviction profonde la joie de partager un Christ qui n’est pas exclusif et d’un christianisme dont on ne calcule pas la fécondité au nombre de baptêmes - même si nous en faisons un certain nombre.

Que signifie pour vous que votre successeur à la tête du vicariat soit un local ?

Mgr H.C. : Contrairement à ce que certains - qui se disent spécialistes - veulent faire croire, le Tchad n’est pas un pays musulman. C’est faux : il n’y a pas plus de 55 % de musulmans, tandis que le reste représente des chrétiens dont le nombre est en croissance. Et parmi les enfants de ceux qui viennent à l’Église, certains auront la vocation religieuse, j’en suis sûr. C’est notamment le cas de notre futur évêque à Mongo, qui est un autochtone du vicariat. C’est pour moi une grande joie de savoir que celui qui me succède est quelqu’un de la région. Son ordination épiscopale aura lieu en février prochain, et sur les trois co-consécrateurs, je serai le seul à ne pas être natif du Tchad.

Par ailleurs, je ne voudrais pas trop ethniciser les choses, mais il me semble important de souligner que le futur évêque, le père Philippe Abbo, est de la même ethnie - les Dadjo - que sainte Joséphine Bakhita, cette ancienne esclave devenue religieuse et canonisée par le pape Jean-Paul II. Je trouve que c’est particulièrement fort symboliquement.