Deux novices de seconde année, envoyés en expériment apostolique de 4 mois en Belgique, nous partagent leur expérience respective dans la prison de Lantin à Liège et au centre de rétention du Caricole à Bruxelles.

Réflexion sur l’idée de « justice restauratrice » en prison

La prison de Lantin à Liège… Quatre mois pour découvrir un univers inconnu jusqu’alors, sa logique institutionnelle et sa violente réalité humaine. On parle volontiers de système pénitentiaire pour nommer le milieu carcéral. C’est placer l’idée de pénitence au cœur du système et de sa finalité. L’idée d’une « peine » à purger va-t-elle donc de soi ? S’agira-t-il de compenser une douleur – celle qu’a vécue la victime – par une douleur « équivalente » que la justice a pour rôle d’infliger au coupable ? Mais dans ce cas, quelle compensation et selon quels critères ? Bref, de quelle justice parlons-nous et quelle justice voulons-nous ? Le champ du débat est vaste,… Ce sont là des questions qui m’ont habité le temps de mon expériment en prison.

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Dessin réalisé par un détenu de la prison de Lantin dans le cadre du module « Amont / Aval » proposé en prison par l’association ASJ pour aider les détenus dans leur démarche de réinsertion.

En prison avec les détenus

Avec l’association Aide Sociale au Justiciable – ASJ, j’ai eu l’occasion d’organiser dans la prison une conférence sur le thème de la « justice restauratrice », un modèle de justice qui propose de remettre au centre du système la victime, le coupable et la société de manière à restaurer tout un ensemble de relations brisées au moment du crime. Les détenus ont exprimé leurs espoirs et leurs attentes d’une justice plus « juste » ; pas seulement sécuritaire mais avant tout restauratrice de liens, et donc d’espoir. Les bénévoles présents, dont je faisais partie, ont pu approfondir le sens humain et social de leur engagement, dans un milieu où l’on peut vite éprouver un fort sentiment d’impuissance. Pour chacun, une véritable expérience de consolation.

L’ASJ anime également des cours et des activités socio-culturelles au sein de la prison. Y animer des ateliers d’écriture a été pour moi l’occasion de contribuer à  restaurer quelque chose de ce lien brisé. Recréer du lien social grâce à l’écriture ; libérer sa voix et la partager aux autres. Dans ce lieu de fragilité qu’est la prison, j’ai été frappé par les accents personnels, tantôt tragiques, tantôt poétiques, rarement faciles ou convenus.

Je vous partage pour finir, un texte de type « inventaire » d’un détenu de l’atelier d’écriture :

Ce que je sais dire…
Je sais bien dire la misère silencieuse du peuple de ma mère quand je pense à la richesse trop bruyante de sa terre.
Je sais mieux dire qu’avant le bien ou le mal que je pense des gens.
J’aurai toujours du mal à dire ce que je ressens vraiment.
J’aurais aimé savoir dire des discours en chinois, en arabe, en swaili et en lingala.

Une journée au Caricole

Il est 8h : la brume matinale se dissipe, les champs de betteraves sortent de leur sommeil, les chemins de boue gelée laissent des ornières crissantes. Je suis à Steenokkerzeel : à ma droite des champs, à ma gauche les pistes d’atterrissage de l’immense aéroport de Bruxelles-Zaventem.

J’ai toujours aimé les avions, et les voir atterrir est pour moi un émerveillement. Ce matin, je fais mon oraison en marchant, au rythme des Boeing et des Airbus, le nez rougi par le froid. Mais qu’est-ce que je fais là ? Je goûte à cet environnement afin de le percevoir en homme libre; libre de me tenir là sur ce territoire qu’est la Belgique sans avoir ni à me justifier, ni à m’inquiéter.

Pourtant, en ce même lieu, il y a au milieu des champs, le centre du ‘Caricole’ : centre de rétention pour réfugiés, demandeurs d’asile et autres ‘illégaux’ recalés à la frontière. Caricole, un autre mot pour dire escargot ; un architecte éclairé a trouvé bon de dessiner cette « prison » en s’inspirant d’une coquille d’escargot… : idée d’accentuer le tourbillon de l’enfermement, ou allusion à la lenteur des procédures administratives ?  Douteux mystère.

Il est 9h30 : en tant que membres du JRS-Belgium et dûment accrédités par l’office des étrangers, nous entrons. Une prison sans barreau, sans clef, sans maton mais toute de plexiglas-triple-épaisseur, de pass-magnétiques et d’agents en civils. Drôle de prison qui fait tout pour masquer qu’elle en est une, oubliant seulement que le pire ce ne sont pas les conditions, mais l’enfermement lui-même.

Le JRS définit ainsi son action auprès des réfugiés : accompagner, défendre, servir. Dans les salles communes, nous rejoignons ces résidents-prisonniers. A travers les vitres, les champs de betteraves ont une saveur toute autre. L’avion que j’admirais plus tôt est ici celui de l’angoisse: le même qui promettait un avenir meilleur sera probablement celui d’un retour forcé au pays. Drôle de spectacle où un homme, contraint de fuir de son pays dans l’espoir d’une vie heureuse ailleurs, est condamné à tourner en rond dans cette zone de transit aéroportuaire.

Alors, si quelqu’un peut venir rompre un instant cet enfermement, y creuser des brèches, ce sera dans les esprits et dans les cœurs.

Walid a besoin de savoir ce qui l’attend dans la procédure : délais, possibilités de recours, rôle de l’avocat, … Une fois que la situation lui apparait plus claire, l’attente lui devient un peu moins pénible. Adama condamné à retourner dans son pays, a vidé son cœur de toute la souffrance que lui cause sa situation. Etre écouté libère un peu,….

Erald a fui son pays, mais plus encore il a fui un père alcoolique, abuseur et violent. « C’est vrai, me dit-il, qu’il y en a ici qui fuient la guerre, ou Ebola. Mais pour moi, retourner là-bas ce serait aussi comme mourir. » Les larmes ruissellent sur le visage de cet homme de 18 ans. Voici l’homme.

Il est 17h, déjà, au dehors, les avions continuent d’atterrir et je vais sortir, libre… Pourquoi ? Pourquoi moi ?!