Stéphane Nicaise est jésuite et anthropologue. La rencontre des habitants du Cirque de Mafate à La Réunion l’a initié à l’anthropologie créole, qui lui a donné les clés pour rejoindre beaucoup de fidèles dans leur expérience spirituelle. Il nous partage son itinéraire et sa recherche sur la religion créole, une notion qu’il a lui-même formalisée.

Stéphane Nicaise jésuite En 1980, pour accomplir le service national, je viens vivre deux années à La Réunion comme Volontaire à l’Aide Technique, la coopération sur le territoire national. Je venais d’accomplir à Caen mon premier cycle de grand séminaire pour le diocèse d’Évreux. Pendant cette période, une retraite vécue au Centre spirituel jésuite de Manrèse (Clamart) m’avait fait éprouver l’appel à la vie religieuse. Dernière subtilité du « Bon Dieu », j’ai traversé le traitement d’un cancer pendant mes études de scolastique dans la Compagnie de Jésus. La sortie de l’épreuve coïncidant avec la fin de mon second cycle et l’ordination sacerdotale, le 18 juin 1989, le Provincial m’a alors renvoyé dans « mon » île me refaire une santé.

Genèse d’une recherche

Stéphane Nicaise jésuite La Réunion hindouisme créole

Plongée dans la pratique de l’hindouisme créole (au centre, le P. Stéphane Nicaise).

Ma première mission était de crapahuter à mon rythme dans la montagne mafataise. Ce fut du temps donné à obéir à la nature : celle de mon organisme mais aussi celle de l’environnement exceptionnel de cet ancien cratère du volcan jailli de l’océan pour donner naissance à l’île de La Réunion.

Jeune prêtre, j’arpente les sentiers du cirque pour aller à la rencontre de ses habitants. Ils ne me sont pas inconnus : depuis 1980, je suis familiarisé avec leur mode de vie. Me voici à goûter de nouveau ces longues heures passées sur les petits bancs, à ras de terre autour du foyer des cuisines en bois et paille où se déroule l’essentiel de la vie sociale. Sauf que le sacerdoce est venu perturber cet ordonnancement. Non pas dans les lieux de la vie quotidienne mais dans la chapelle, au moment de célébrer l’eucharistie dominicale. À peine avais-je pris place derrière l’autel qu’un sentiment d’extrême étrangeté me saisissait:  j’avais devant moi des Mafatais que je connaissais bien et, pourtant, j’étais habité par la certitude d’ignorer ce que l’Eucharistie pouvait représenter pour eux. J’étais tout aussi sûr qu’ils n’avaient aucune idée de ce qu’elle était à mes yeux. Leur vécu spirituel et son sens m’étaient tout autant inaccessibles que le mien pour eux.

Mettre des mots

Stéphane Nicaise jésuite La Réunion prière partagée avec musulmans et hindous

Prière partagée avec des musulmans et des hindous.

Comment le même rituel pouvait-il appartenir à deux mondes spirituels différents ? Cette question m’a incité à reprendre des études d’anthropologie jusqu’à préparer une thèse. À travers cette recherche, j’ai formalisé la notion de « religion créole » pour donner à comprendre ce qui se passe quand, autour d’un même rituel, plusieurs réalités spirituelles sont vécues et qu’elles ne se comprennent pas vraiment entre elles. Mis en route par mes premières célébrations à Mafate, j’ai de plus en plus élargi ma recherche. Partant du catholicisme, historiquement religion de la colonie, j’ai constaté que, sous couvert d’une observance sociale généralisée, ce catholicisme réunionnais a en fait servi d’hébergeur. Il a hébergé d’autres conceptions religieuses qui ont interféré entre elles jusqu’à créer leur propre système commun, celui de la religion créole.

Aller plus loin et converser

Si j’ai d’abord mené cette recherche dans le catholicisme parce que c’est mon Église, mon travail d’anthropologue m’a conduit à fréquenter d’autres confessions et d’autres cultes très vivants à La Réunion – hindouisme créole, cultes aux ancêtres malgaches et africains, etc. J’ai constaté que cette religion créole se retrouve dans tous ces lieux de croyances et de pratiques religieuses. L’écriture et l’enseignement m’ont permis de partager ce résultat. De manière plus essentielle, j’en fais usage pour entrer en conversation spirituelle dans maints occasions et lieux où la présence d’un prêtre catholique détonne au premier coup d’œil… avant que les regards ne se croisent et n’appellent au dialogue.

Stéphane Nicaise sj
Responsable du Centre Saint-Ignace et enseignant en anthropologie, La Réunion

En savoir +

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Pour aller plus loin

Le P. Stéphane Nicaise sj a écrit Les missions jésuites dans l’océan Indien – Madagascar, La Réunion, Maurice, Éditions jésuites, Namur-Paris et Epica Éditions, Saint-André, 2015.

La Réunion en bref

Population : Depuis 1646, les vagues migratoires de l’océan Indien et de l’Europe se mêlent dans le creuset de la créolité.
Religions : Les caractères ethnoculturels des différents migrants alimentent encore la créolisation des pratiques religieuses (christianisme, mais aussi hindouisme, islam et bouddhisme).

Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2019), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.