Les jésuites, destinés dès l’origine à être envoyés partout dans le monde, ont choisi un pouvoir central très fort dont le « préposé général » élu à vie est la plus évidente expression.

D’autres ordres religieux devenus universels et comparables en nombre, franciscains, capucins, frères des écoles chrétiennes.., ont élaboré des règles de gouvernement où domine la voie élective.

Pourquoi les jésuites ont-ils fait un tel choix ?

Les activités des Jésuites sont aussi variées que possible. Dès 1539, le programme des premiers compagnons d’Ignace précise : « le progrès des âmes dans la vie et la doctrine chrétienne et la propagation de la foi par des prédications publiques et le ministère de la parole de Dieu, les exercices spirituels et les œuvres de charité, et spécialement par la formation chrétienne des enfants et des ignorants et la consolation spirituelle des fidèles du Christ par les confessions ».

« Les jésuites sont partout », dit-on. Peut-être, mais pas n’importe où ni importe comment. Les Constitutions de l’Ordre sont claires sur les choix a faire: chercher le bien le plus universel, le plus urgent, le plus durable; se porter de préférence là où il n’y a personne d’autre pour travailler; viser le plus grand nombre par une action de masse et offrir au petit nombre les moyens d’avancer dans le service de Dieu et des hommes, en particulier par les Exercices Spirituels…

A partir de ces critères, la Congrégation Générale définit périodiquement les grandes orientations de la Compagnie de Jésus. Elle est convoquée pour l’élection du Supérieur Général et, quand les circonstances l’exigent, à l’initiative du Général (qui doit consulter régulièrement des représentants élus de toutes les Provinces : la Congrégation des Procureurs), pour traiter d’affaires importantes.

Elle est composée pour un tiers de membres de droit et pour deux tiers de membres élus par la base, formant une assemblée de plus de 200 personnes. Depuis la mort de saint Ignace, il y a eu 34 Congrégations Générales. L’avant-dernière dernière en septembre 1983, a élu le Père Peter Hans Kolvenbach comme Supérieur Général pour succéder au Père Arrupe, démissionnaire pour raison de santé. La dernière, réunie au premier trimestre 1995, a accompli un énorme travail législatif (l’actualisation du Droit de la Compagnie de Jésus). Elle a également redéfini la mission des Jésuites comme « Serviteurs de la mission du Christ ».

La Congrégation Générale remet tout pouvoir au Père Général dès qu’elle est achevée. Un chapitre célèbre des Constitutions énumère les qualités que sa charge requiert: d’abord « une grande union à Dieu notre Seigneur et une grande familiarité avec lui dans la prière et dans toutes ses actions »; charité et humilité; rectitude et douceur; magnanimité et force d’âme; intelligence et jugement; vigilance et persévérance dans l’action; bonne santé et bonne réputation… Mais  » si manquaient quelques-unes de ces qualités, que ne manquent pas du moins une grande bonté et un grand amour de la Compagnie, ainsi qu’un bon jugement et une bonne instruction ».

Le Général est élu à vie, mais il peut présenter sa démission à la Congrégation Générale, seule apte à l’accepter ou à la refuser. Il est aidé dans son gouvernement par quatre Assistants Généraux élus et un petit nombre de Conseillers qu’il choisit et qui résident auprès de lui ainsi que des Assistants régionaux et des experts. La Curie généralice, proche du Vatican, compte près d’une centaine de personnes.

Au plan local, le Général délègue son pouvoir à un supérieur provincial, nommé par lui pour six ans. Le Provincial a juridiction sur un territoire d’étendue variable selon les régions.. Le Provincial nomme à son tour des supérieurs dans chaque communauté et affecte à chaque jésuite une tâche précise. Il est entouré, lui aussi, de conseillers et se fait aider par des commissions de travail, mais il est seul à prendre des décisions ultimes dans sa Province.

Le gouvernement de la Compagnie de Jésus apparaît donc comme fortement personnalisé, hiérarchisé et centralisé. Une telle structure, propre à assurer l’efficacité et la mobilité caractéristiques de l’Ordre, risque de masquer un autre aspect essentiel. On s’empare volontiers de telle ou telle expression employée par saint Ignace, comme  » obéissance aveugle »,  » perinde ac cadaver  » (comme un cadavre), sans prendre garde qu’elles sont empruntées à une tradition bien antérieure. Il est vrai que l’obéissance est l’épine dorsale qui soutient le corps de la Compagnie, aujourd’hui comme hier. Tout jésuite en est persuadé et plusieurs en font l’expérience parfois douloureuse. Pourtant il reconnaît que la Compagnie a fait de lui un homme libre.

Quel est le secret qui permet de concilier l’obéissance la plus rigoureuse et la plus grande liberté des personnes ? Il tient en un mot, venu en droite ligne de l’expérience des Exercices: le discernement spirituel ou l’art de détecter le dynamisme intérieur qui est à la source du comportement de l’homme dans ses activités. L’obéissance du jésuite repose toute entière sur la qualité du dialogue entre le supérieur et son subordonné, selon une forme propre à la Compagnie de Jésus qu’on appelle ouverture de conscience. Chaque année, tout jésuite doit exposer à son Provincial, non seulement le bilan de ses activités, mais aussi sa manière de vivre, ses joies et ses peines, les désirs qui l’animent et les dangers auxquels il doit faire face, les mouvements spirituels qu’il éprouve dans sa prière, etc. Après quoi le Provincial évoque avec lui, avant toute décision, le type de tâche où il pourra rendre le meilleur de lui-même.

Ainsi procédait saint Ignace. Quand il veut fixer une destination à quelqu’un, il lui demande de faire oraison ou de dire la messe et de répondre par écrit aux trois points suivants: s’il se trouve prêt à aller suivant l’obéissance; s’il trouve en lui quelques inclinations à le faire; ce qu’il choisirait si on laissait la chose à sa disposition…  » Et ainsi, disait-il, supposé qu’existent l’obéissance et l’abnégation de la part du subordonné, je me trouve très bien de suivre ses inclinations ».

Les supérieurs s’efforcent de faire de même, avec la conviction, mise en lumière par le Fondateur dans ses Exercices spirituels: que l’Esprit Saint n’est pas moins à l’œuvre chez les supérieurs que chez leurs subordonnés. L’objectif du gouvernement de la Compagnie de Jésus est de tendre à une « conspiration » aussi harmonieuse que possible, pour que la mobilité et la docilité légendaires des jésuites traduisent au mieux la mobilité et la liberté de l’Esprit qui  » souffle où il veut et quand il veut ».

Les origines de la Congrégation des Procureurs

Il est clair que Saint Ignace ne voulait pas de fréquentes convocations de la Congrégation Générale. D’une façon typiquement ignatienne qui laisse la porte ouverte à des décisions que les circonstances pourraient imposer plus tard, Ignace écrivit au n. 677 des Constitutions: « Il ne semble pas, dans le Seigneur, qu’il convienne de réunir la Congrégation Générale à des époques fixes, ni fréquemment. Le Préposé Général, en effet, étant aidé par les relations qu’il a avec toute la Compagnie et par ceux qui vivent avec lui, évitera à la Compagnie universelle, dans toute la mesure du possible, cette peine et cette perte de temps. »

Mais Ignace lui-même ajouta dans une ‘clarification’ (n. 679) que le Préposé Général maintiendra des relations avec la Compagnie par « l’envoi de lettres et par les personnes qui doivent venir des Provinces, au moins une personne de chaque Province tous les trois ans… »

S’appuyant sur ces textes d’Ignace et aussi en réponse au désir du Pape, la deuxième Congrégation Générale (1565) se pencha sur la question et proposa l’idée d’une Congrégation des Procureurs qui serait convoqué tous les trois ans. Saint François de Borgia en est reconnu comme le fondateur. C’est lui qui, à titre de Supérieur Général, présida la deuxième Congrégation Générale et convoqua la première Congrégation des Procureurs en 1568.

Jusqu’au dix-huitième siècle, la Congrégation des Procureurs se réunit régulièrement. La maladie du Père Général et autres circonstances également imprévisibles obligèrent l’ajournement des Congrégations prévues pour 1614 et 1631. Au dix-huitième siècle, des épidémies généralisées et la situation troublée en Europe imposèrent l’annulation des Congrégations prévues pour 1709, 1720, 1734 et 1743. La dernière Congrégation des Procureurs avant la suppression de la Compagnie (1773) eut lieu en 1749.

Quelques années après le rétablissement de la Compagnie (1814), la Congrégation Générale de 1829 insista sur le besoin de reprendre la pratique de la Congrégation des Procureurs. La première fut tenue en 1832. Encore une fois cependant les bouleversements politiques en Europe, et tout particulièrement en Italie, ainsi que l’expulsion des jésuites de plusieurs pays mirent la Compagnie dans l’impossibilité de réunir les Congrégations entre 1868 et 1886.

La 23e Congrégation Générale (1883) demanda que l’on reprenne la tradition de la Congrégation des Procureurs. De ce moment jusqu’en 1983 seulement six Congrégations durent être annulées: en 1905 à cause de la maladie du Père Luis Martin; en 1918, 1941 et 1944 à cause des deux guerres mondiales; en 1936 et 1956 à cause de la proximité des 28e et 30e Congrégations Générales.

Deux fois seulement, en 1606 et 1693, les Procureurs demandèrent la convocation d’une Congrégation Générale. La décision de 1693 fut prise par un vote de 17 en faveur et 16 contre. Ce résultat entraîna une intervention auprès du Saint-Siège qui déclara la décision invalide. La Congrégation Générale suivante (1696) décréta qu’une décision de convoquer une Congrégation Générale doit avoir une majorité de deux ou trois voix, selon, que le nombre des Procureurs est pair ou impair.

Toutes les Congrégations des Procureurs ont eu lieu à Rome, sauf celles de 1886 et 1889 tenues à Fiesole, Italie. A partir de 1584 sous le Père Acquaviva, toutes les Congrégations sauf deux ont commencé le 16 novembre pour finir trois jours plus tard, le 19.

> Source : article de Aldama-Echarte dans le Diccionano Biogréflco-Temático de la Compañia de Jesú en préparation

La composition et le but de la Congrégation des Procureurs

La Congrégation des Procureurs est convoquée par le Père Général à tous les quatre ans après la fin d’une Congrégation Générale. Les Procureurs sont ceux qui ont été élus par leurs Congrégations Provinciales (un par Province) pour les représenter à la Congrégation des Procureurs. Les Régions dépendantes et indépendantes n’ont pas droit à un représentant, mais elles choisissent un Rapporteur qui doit envoyer un rapport à Rome. Le Père Général peut les inviter à la Congrégation.

Sous la conduite du Père Général, la Congrégation est composée des procureurs élus (cette année ils sont 85), les Assistants ‘ad providentiam’ (actuellement quatre) et les Conseillers généraux (8). Avec le Père Général la 68e Congrégation des Procureurs a compté 98 membres.

Le premier but de la Congrégation des Procureurs est de décider si une Congrégation Générale doit être convoquée. Les Congrégations Provinciales ont répondu à la même question par vote secret. Leur décision a valeur consultative tandis que le vote de la Congrégation des Procureurs est délibératif. Les Procureurs ne sont pas tenus d’adopter l’opinion approuvée dans la Congrégation de leur province.

Une autre tâche importante des Procureurs est d’examiner l’état et les affaires de la Compagnie en général, et en particulier les données plus universelles de l’apostolat.

P. Jean-Claude DHOTEL sj