Emile est le quatrième de la famille, trois sœurs avant lui, trois sœurs après, tous nés rue Basse, à l’ombre de Notre-Dame de la Treille. Leur père, chapelier, et leur mère se sont saignés pour les enfants qui en ont gardé le souvenir de vrais saints. Au collège jésuite de Lille de la 10ème à la Philo. En 1938, à Mouvaux, Emile entend qu’il peut penser à la prêtrise : exultation !… unique dans sa vie.

Le 1er octobre 1939, il entre au noviciat de Florennes ; avec la guerre, repli aux Ponts-de-Cé (Angers) ; nouveau repli à la Pentecôte 1940 au Vignau (Landes). Juvénat en 41-43 à Mongré (Villefranche), coupé par 10 mois de Chantiers de Jeunesse au Châtelard. Le 31 juillet 43, départ pour le STO avec l’équipe devenue fameuse de Mission en Thuringe de Paul Beschet. Retour fin mai 45. Trois ans de philosophie à Vals-près-Le Puy. Un an de régence à St-Acheul (Amiens). Ordination à Enghien le 29 juillet 51. Troisième An à l’ouverture de St-Martin d’Ablois en octobre 53. Et en septembre 1954 changement de chambre pour demeurer ministre jusqu’ à la fermeture de la maison le 13 novembre 1970. Emile y mange son pain blanc, aidé par une merveilleuse communauté de Frères (avec lesquels le célèbre « Monsieur Georges » qui fut le régisseur, sans le titre, de cette belle propriété).

Après deux ans assez éprouvants à Chantilly, converti en Centre de Sessions, Emile est nommé ministre à l’Ecole Missionnaire de Cormontreuil. Encore quinze années bénies… mais il fallut fermer Cormontreuil en mai 87. Pendant dix années, ministre, à Pau cette fois, chez les Pères âgés. Puis surprise : le Père Provincial l’envoie en 1997 à Paray-le-Monial pour la réfection d’un bâtiment. Et re-surprise onze mois après : Marseille l’attend comme ministre : il y vivra huit années de vrai bonheur.

Ayant dit à son Provincial que, ministre durant 53 ans, il se sentait fatigué, il fut pris au mot et arriva à Lille, à la Maison St-Jean en 2006. Il retrouva sa ville natale quittée en 1939. La suite, ce sont les dix ans au 5ème étage de la Maison St-Jean, hors Ehpad. Il y fut le gérant des petites choses, celles qu’on ne remarque pas parce que, justement, on estime tout à fait normal de trouver du pain dans son assiette, du courrier dans sa boîte, un livre à sa place sur les rayons, un chantre à la voix ferme à la messe, une main pour un fauteuil roulant. Petites attentions qui faisaient dire à Madeleine Delbrêl : « Nous avons trouvé dans l’amour une occupation suffisante ».

Mais derrière la figure austère du serviteur se cachait la face ludique, sous l’air un peu bourru, le cœur tendre : n’a-t-il pas écrit pour ses petits neveux les 73 épisodes d’un conte pour enfant intitulé « Le lapin aux pruneaux » ? Et laissé à ses amis et correspondants plus de 550 recensions soignées de livres en tous genres ? Activité opiniâtre d’un homme fidèle et avisé, toujours impatient de servir et d’aimer.

Claude Flipo sj (Lille)